La vérité sur l'accueil des exilés en France

La vérité sur l'accueil des exilés en France

La vérité sur l'accueil des exilés en France

22 avril 2022, avec Hugo Le Vay et Zoé Tison

Fuir son pays n’est jamais une chose facile. Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, des millions de personnes ont été contraintes de s’exiler pour échapper au conflit. Des dizaines de milliers d’entre eux ont été accueillis à bras ouverts sur le territoire français. Dans un élan de solidarité générale, de nombreuses initiatives se sont mises en place à tous les niveaux (national, local, citoyen, associatif…) pour accueillir aux mieux ces réfugiés de guerre.

Les Ukrainiens ne sont pas aussi seuls que l’on pourrait le croire. Plus d’un humain sur 100 vit en exil. Parmi eux, en 2019, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) comptait 34,4 millions d’exilés dans un pays étranger. Ils viennent en majorité de Syrie, du Venezuela, d’Afghanistan ou du Soudan du Sud. Cette population déracinée a dû quitter son lieu de vie pour échapper à la guerre, la torture, la répression politique et bien d’autres violences.

La France est la 4e plus grande terre d’asile dans le monde. Avec 87 700 demandes d’asile en 2020, elle accueille une importante part des exilés. Certains vivent dans des campements de fortune, à Calais, sous la menace d’une expulsion. D’autres ont trouvé refuge chez des familles, dans leur foyer. Beaucoup ont été placés sous la protection de l’État ou, après plusieurs années sur le territoire, se sont complètement intégrés dans la société française.

Comment les exilés sont-ils accueillis en France ? La vérité sur les conditions de ceux qui ont fui leur pays.

Qui sont les exilés ?

Le terme « exilé » désigne une personne qui vit hors de son pays d’origine par contrainte. L’exil est une migration forcée, causée par une menace de mort ou de persécution, un bannissement ou une déportation.

Les motifs d’exils sont nombreux : torture, danger de mort, persécution politique, mutilations sexuelles chez les femmes et bien d’autres. À titre d’exemple, un Syrien venu en France pour fuir la guerre civile est un exilé. Il en va de même pour un Afghan qui aurait quitté son pays pour échapper aux Talibans ou une femme soudanaise menacée par le trafic d' êtres humains.

Aux yeux de la loi française, l’exil ne correspond cependant à aucune catégorie juridique spécifique. Il ne garantit pas non plus la protection de la France, chaque cas diffère. La définition du mot « exilé » est large et regroupe de très nombreux étrangers, qu’ils soient demandeurs d’asile, désignés comme « réfugiés » ou « clandestins ». Leur point commun est un départ forcé ou la fuite face à un danger.

D'où viennent les exilés ?

1. Afghanistan : 10 364 demandes d'asile en 2020

Déjà en 2020, les Afghans étaient la population la plus représentée parmi les demandeurs d’asile en France. Ils fuyaient alors les attaques à l’encontre des autorités afghanes et une situation d’insécurité globale sur le territoire. En 2021, année de la prise de pouvoir des Talibans, l’Afghanistan est le seul des 10 principaux pays d’origine des demandeurs d’asile où le nombre de demandes de protection a augmenté malgré le contexte de pandémie (+1,4%).

2. Guinée : 6257 demandes

 Avec la réélection d’Alpha Condé en 2020, de nombreux opposants politiques ont dû fuir le pays face à la réaction des forces de sécurité. Les femmes cherchent également à échapper aux mutilations sexuelles féminines et aux mariages forcés. Les problèmes d’orientation sexuelle ou de religion sont fréquemment évoqués par les demandeurs d’asile.

3. Bangladesh : 5442 demandes

Depuis les élections législatives de 2018, marquées par une violente répression de l’opposition et la victoire du parti au pouvoir, la plupart des exilés demandent la protection de la France pour des raisons politiques.

4. Côte d'Ivoire : 5197 demandes

Les principaux motifs de demandes d’asile en provenance de Côté d’Ivoire sont d’ordre privés : mariages forcés, unions contrariées, mutilations sexuelles féminines, problèmes liés à l’orientation sexuelle, conflits successoraux ou fonciers.

5. Nigéria : 4 559 demandes

Les femmes fuient majoritairement la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelles, ainsi que les mutilations sexuelles féminines (souvent évoquées chez les mineures). Chez les hommes, la plupart des demandes déposées concernent des problèmes liés à leur affiliation à des groupes criminels.

Ukraine : 36 000 exilés en 2022

Dans la plus grande crise d’exil en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, près de cinq millions d’Ukrainiens ont quitté leur pays. On estime à l’heure actuelle que plus de 36 000 exilés sont arrivés en France pour fuir l’offensive russe. 90% de ces exilés sont des femmes et des enfants, d’après l'Office international des migrations, agence spécialisée de l'ONU.

Entretien

Manila Kahled

Réfugiée afghane, Manila Kahled a fui son pays dans les années 80. Depuis bientôt 40 ans, sa vie est en France, mais elle n’a jamais oublié ses racines. De son exil à sa vie en France, en passant par son combat pour la cause afghane, elle nous raconte son histoire.

Manila Kahled, dans son salon, en Ille-et-Vilaine.

Photo : Benjamin Moubeche

Pourquoi avez-vous quitté l’Afghanistan ?

Quand les Soviétiques sont arrivés au pouvoir en Afghanistan en 1978, la situation est devenue tellement pénible. Tous les soirs, des Soviétiques venaient chercher les gens. D’abord ceux qui parlaient anglais, comme mon mari, parce qu’ils pensaient qu’ils travaillaient pour les Américains.

Les femmes, aussi, étaient en danger. Ils venaient devant les écoles pour prendre les belles jeunes filles et les violer. Nous vivions dans une situation tellement difficile. Mon mari est tombé dans une grave dépression. Ce n’était pas possible pour nous de rester à Kaboul.

Comment avez-vous réussi à fuir pour rejoindre la France ?

En 1983, alors que j’étais enceinte de mon troisième enfant, nous avons décidé de faire de faux papiers pour quitter l’Afghanistan. Nous avons réussi à aller en Inde, où nous avons fait la demande d’asile politique, comme beaucoup d’Afghans à l’époque.

Après un an à New Delhi, le cousin de mon mari nous a contactés parce qu’il avait besoin de quelqu’un qui venait d’Afghanistan pour son association. C’est lui qui nous a obtenu un visa. Je rêvais de visiter la France, alors j’ai accepté. Tout ce que nous voulions, c’était sauver nos enfants.

Nous sommes arrivés le 12 avril 1984. Cela fait maintenant 38 ans que nous sommes en France. Nous avons vécu chez le cousin de mon mari pendant 10 jours, puis on nous a mis dans un foyer pour les réfugiés, à Rennes. À partir de là, nous avons fait la demande d’asile politique.

À partir du moment où vous avez déposé votre demande d’asile, dans quelles conditions viviez-vous ?

C’était tellement difficile. Quand vous arrivez dans un pays, que vous n’avez pas de famille, que vous laissez tout derrière vous, votre famille, votre maison, votre argent, vos études… quand vous abandonnez tout pour venir dans un pays dont vous ne parlez pas un mot, ce n’est pas simple. Mais nous ne pouvions pas faire autrement.

Quand nous sommes arrivés, à l’époque, il a fallu envoyer un dossier à l’OFPRA en expliquant que nous étions en danger en Afghanistan. Pendant que l’OFPRA examinait notre demande, nous étions dans un foyer d’accueil pour les réfugiés. Ils nous donnaient de quoi nous nourrir. Six mois plus tard, l’OFPRA nous accordait le statut de réfugiés politiques. Ensuite, on nous a proposé un appartement. Il n’y avait rien dedans, il était vide. Il était assez grand pour nous et nos trois enfants, mais c’était difficile.

J’étais institutrice en Afghanistan. Mon mari, lui, était directeur des relations étrangères du Crédit Agricole. Quand nous avons pris l’appartement, mon mari a trouvé un travail en tant qu’ébéniste. Il n’avait pas de masque, aucune protection. Moi, je suis restée avec mes enfants pendant un peu plus d’un an, puis j’ai suivi des cours de français.

Mon premier travail, c’était en tant que femme de ménage, pour une femme qui était institutrice, comme moi avant de quitter l’Afghanistan. L’une des premières choses qu’elle m’a montrées, c’est le frigo. Elle m’a expliqué que c’était pour le froid, que je ne devais pas mettre les choses chaudes dedans.

Les gens me disaient que j’avais de la chance de porter des pantalons, de ne plus avoir à porter le voile… Mais j’avais un frigo en Afghanistan, je suis née et j’ai vécu dans la capitale. J’étais en mini-jupe à Kaboul. À l’époque, on n’avait pas de burqas, pas de voiles. On s’habillait comme on voulait. Mais les gens ne connaissaient pas l’Afghanistan. Ils s’imaginaient des femmes avec des burqas et des hommes avec des turbans. Ça m’a vraiment fait mal au cœur. 

Malgré ça, j’étais tellement contente. Mes enfants faisaient des études. Ils étaient sauvés. Mon mari était vivant. Je me disais : « Ce n’est pas grave, nous avons besoin d’un travail, n’importe quel travail ». On a tout fait, mais on a réussi. On a tout fait pour nos enfants, pour bien les éduquer, pour remercier la France. Pour dire « merci de nous avoir accueillis ». (Elle pleure)

Quand vous n’avez pas de famille, quand vous êtes seuls, quand vous tombez malade, il n’y a personne pour vous aider. Vous ne savez pas quoi faire. Mais je me suis dit : « Ce n’est pas grave. On a perdu notre jeunesse, mais au moins nos enfants vivront peut-être mieux que nous ». Je suis contente qu’on ait réussi tous les deux, on a travaillé comme des chiens. J’ai fait le ménage, j’ai commencé à cinq heures du matin. C’était dur, mais tout ce que nous voulions, c’était donner une bonne éducation à nos enfants. (Elle pleure à nouveau)

Aujourd’hui, ils ont fait des études, ils travaillent, ils paient leurs impôts. La France nous a accueillis, nous a donné un logement, nous a donné des papiers, nous a donné la nationalité française… c’était de mon devoir de donner quelque chose en retour. Mon trésor, que j’ai partagé avec la France, ce sont mes enfants.

Ce n’a rien de simple d’être un réfugié politique. Il faut se battre pour ses droits. Il faut se démener pour trouver l’argent pour se nourrir. Personne ne nous a aidés. Nous avons réussi seuls. Ce que nous étions en Afghanistan, nous l’avons laissé de côté. Nous avons recommencé notre vie à zéro.

Êtes-vous restés en France par choix ? Avez-vous envie de retourner en Afghanistan ?

En tant que réfugiés politiques, nous ne pouvions pas retourner en Afghanistan. C’était interdit. Surtout, ça fait 40 ans que c’est la guerre en Afghanistan. Nous ne pouvions pas y retourner.

Même si j’ai ma nationalité française aujourd’hui, si un jour mon pays redevient libre et calme, je retournerai en Afghanistan. C’est mon pays, ce sont mes racines, ma vie, mon oxygène. C’est là-bas que je suis née.

Vous avez consacré une partie de votre vie à aider les autres réfugiés afghans. Pourquoi est-ce si important pour vous ?

Quand les talibans sont partis, dans les années 2000, je suis allée en Afghanistan pour rencontrer le commandant Massoud avec 40 femmes.

J’étais la plus jeune d’entre nous. Je suis allée le remercier personnellement pour ce qu’il faisait pour notre pays. Il m’a dit : « Ne me remerciez pas, promettez-moi que vous n’oublierez pas les femmes afghanes ». C’était un ange, c’était notre gardien.

Ça compte pour moi d’aider les femmes afghanes, parce que j’ai souffert quand j’ai quitté l’Afghanistan. Quand nous étions au foyer, nous étions seuls… Qu’est-ce que ça me faisait mal au cœur !

C’est ce manque d’amour qui m’a poussé à aider les autres. J’ai aidé des familles à rejoindre la France. Quand de nouveaux réfugiés arrivaient ici, je les accueillais aussi bien que je pouvais et je les aidais. En 2001, je suis retournée en Afghanistan pour faire une maison des femmes, à Istalif. Je suis restée près d’un an, je faisais des allers-retours entre ma vie en France et mon pays.

La maison des femmes d'Istalif, en Afghanistan.

Photo : la Voix du Nord

La promesse que j’ai faite au commandant Massoud, je ne peux pas l’oublier. Je ne peux pas oublier les Afghans et les femmes. Je travaille toujours bénévolement. Je dis au monde entier : « S’il vous plaît, aidez-nous ». C’est ça mon but, je veux qu’on apporte de l’aide à ceux qui en ont encore besoin. Aujourd’hui, je souffre d’une grave dépression et je ne peux plus être aussi investie, mais je continue de me battre par la parole.

Après moi, ce combat continuera. En août 2021, quand les talibans ont repris le pouvoir, je faisais une conférence avec une association. Au milieu de notre conférence, un jeune homme d’origine arabe est arrivé à côté de moi et a posé un pistolet contre ma tête. Il m’a dit que les femmes étaient faites pour rester à la maison, faire des enfants, qu’il voulait me tuer. Je l’ai regardé, j’ai ri, et je lui ai dit que s’il me tuait, il y aurait d’autres Manila. Je lui ai dit que mes enfants, mes petits-enfants, d’autres femmes afghanes viendraient défendre leurs droits. J’ai parlé avec ce jeune homme pendant une demi-heure, il a fini par s’excuser et il a été emmené par les membres de l’association.

En 2021, les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan. Comment avez-vous vécu cela depuis la France ?

Je l’ai vécu très mal. Vraiment très mal. Si je suis suivi par des psychiatres pour ma dépression, c’est parce qu’il n’y a pas de justice. Ce qui se passe en Afghanistan est tellement grave. Quand les talibans ont repris le pays, le ciel est tombé sur ma tête et sur celle de tous les Afghans.

Quand je suis partie, nous avions fait des promesses au commandant Massoud. Depuis 20 ans, les femmes défendent leurs droits, elles ont appris à vivre. Elles ont pris le goût de la vie. Il y avait des femmes médecins, des femmes ingénieures, militaires, pilotes… il y avait un espoir pour les femmes en Afghanistan. Avec les talibans, les femmes sont à nouveau effacées de la société. Il n’y a pas d’écoles pour les filles, pas de travail pour les femmes.

Les femmes sont violées, torturées. Celles qui protestent sont réprimées, mises en prison. Où est la justice ? Comment voulez-vous que je reste calme aujourd’hui ? C’est impossible. Personne ne parle des femmes violées en Afghanistan. Personne ne parle des femmes torturées dans les prisons des talibans. Quand ils ont pris le pouvoir, on en a parlé pendant quelques semaines. Tous les Afghans ont crié. Personne ne nous a écoutés. Nous avons envoyé des lettres aux ministères, au président, on ne nous a jamais répondu.

Les Afghans n’existent pas pour les Français. Nous ne sommes pas des êtres humains. L’Afghanistan est oublié. Pourtant, la France était dans notre pays. Elle est coupable, elle aussi. Elle est restée sur place pendant 20 ans, mais elle a ignoré ceux qui fuyaient les talibans. Tout le monde nous a abandonnés. Aujourd’hui, de nombreux réfugiés ukrainiens sont accueillis sur le territoire français.

Aujourd’hui, de nombreux réfugiés ukrainiens sont accueillis sur le territoire français. Pensez-vous qu’il y a une forme d’injustice dans la manière dont ils sont traités par rapport aux Afghans ?

Depuis que le conflit a commencé, on ne parle que de ça 24 heures sur 24. On entend « Ukraine, Ukraine, Ukraine ». Notre président va là-bas, la présidente du Parlement européen va là-bas. On leur apporte de la nourriture, les produits de première nécessité, même de quoi nourrir leurs animaux…

Nous n’avons même pas été traités comme leurs animaux. Nous sommes moins que des animaux pour eux. Il n’y a pas de justice en France. Je suis très contente qu’on accueille les Ukrainiens, je suis passée par là. Mais je demande aux Français d’accueillir tous les réfugiés de cette manière. Où est la fraternité ? L’égalité ? Il n’y en a pas. Ce sont des mensonges. Les jeunes meurent, les Afghans sont abandonnés, on ne parle pas de l’Afghanistan. Les femmes qui étaient institutrices, qui donnaient des cours aux jeunes filles, font la manche pour nourrir leurs familles. Ils vont jusqu’à vendre leurs enfants aujourd’hui. Les Ukrainiens n’en sont pas encore là. Mais qu’est-ce que fait la France ? Rien.

Les Ukrainiens ont tout de suite un logement et des allocations. Nous avons galéré pendant des mois pour avoir une aide sociale. Encore aujourd’hui, je n’arrive plus à payer mon électricité. J’ai perdu mon travail à cause de ma dépression. Mon mari touche 136 € de retraite. Je suis allé plusieurs fois à la CAF, mais personne ne veut nous aider. Je vais changer ma nationalité, devenir Ukrainienne.

Pour toucher des aides, il faut être Ukrainien aujourd’hui. Il faut être Européen. Il ne faut être ni Afghan ni Arabe, parce que nous n’existons pas aux yeux de la France.

Faire valoir ses droits

La protection de la France

Une fois arrivés en France, la plupart des exilés doivent se battre pour faire valoir leurs droits. Obtenir la protection internationale relève d’un long et difficile processus administratif semé d’embûches.

Le plus commun : le statut de réfugié

En 2020, environ 358 000 exilés bénéficiaient du statut de réfugié en France, d’après l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

« La qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté », ainsi qu’à « toute personne qui répond aux définitions de l’article 1er de la convention de Genève », d’après le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

La Convention de Genève a été signée en 1951 par 28 États, dont la France, pour encadrer le droit des réfugiés. Encore aujourd’hui, ce texte reste la clé de voûte de la protection des réfugiés. Elle regroupe sous ce terme toute personne qui fuit une persécution « du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » et qui se trouve en dehors de son pays. De plus, elle contraint les états à ne pas expulser ou refouler un réfugié, contre sa volonté, vers un territoire où il craint d’être persécuté. Ces dispositions sont jugées « si importantes qu’elles ne peuvent faire l’objet d’aucune réserve ».

L’alternative : la protection subsidiaire

En 2020, environ 97 000 exilés bénéficiaient de la protection subsidiaire, d’après l’OFPRA.

Au même titre que le titre de réfugié, la protection subsidiaire permet aux exilés d’être pris en charge en France lorsqu’ils sont menacés. Elle est accordée aux exilés qui ne remplissent pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié, mais qui risquent la peine de mort, des traitements inhumains ou dégradants, la torture ou, si elle est le résultat d’un conflit armé, d’une menace grave contre sa personne. Elle aboutit à la délivrance d’un titre de séjour d’une durée maximale de quatre ans qui ouvre également le droit au travail.

Au terme de cette période, si la situation des pays d’origine des exilés bénéficiant de la protection subsidiaire s’est améliorée, ils sont invités ou forcés à y retourner. Dans le cas contraire, la carte de séjour arrivée à expiration peut être renouvelée.

Billal, exilé afghan, espère obtenir la protection de la France.

Photo : Benjamin Moubeche

Un statut sans garanties

Si l’obtention du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire marque l’aboutissement d’une longue procédure. Elle n’est pas nécessairement synonyme de soulagement immédiat pour les exilés. La France ne prévoit pas de cours de français pour les personnes bénéficiant de la protection internationale, ce qui complique leur relation avec les services. Elles se retrouvent parfois dans l’incapacité d’effectuer les démarches administratives qui leur permettraient d’accéder à l’hébergement et à l’emploi.

Sur une centaine de réfugiés sondés par l’ONG Action contre la faim dans son rapport sur le droit d’asile, 52 % ne touchent aucune aide ni ne travaillent.

Ukrainiens : la protection temporaire exceptionnelle

Les réfugiés ukrainiens ne bénéficient pas du même statut que les autres exilés. Ils sont les seuls à jouir d’une « protection temporaire » sur le territoire européen, accordée par le Conseil de l’Union européenne le 4 mars 2022. « Pour la demande d’asile classique, chaque demandeur est entendu individuellement. Son dossier prend du temps », explique Bérangère Taxil, professeure de droit international à l’Université d’Angers. « Dans le cas d’afflux massif de personnes qui fuient une région, on n’a pas le temps. Donc la protection temporaire a été conçue pour faciliter les procédures d’accueil en urgence. »

Ce dispositif a été instauré en 2001 par une directive de l’Union européenne pour faire face à un « afflux massif de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine ». Il leur est accordé un titre de séjour d’une durée d’un an prolongeable, ainsi que le droit de travailler, d’accéder à l’enseignement, à un logement approprié et de recevoir une aide sociale et financière, ainsi que des soins médicaux.

Depuis 2001, cette directive n’avait jamais été appliquée. Il a fallu attendre deux décennies et la fuite des réfugiés ukrainiens dans les pays de l’Union européenne pour que le Conseil de l’Union européenne — composé des ministres des États membres en fonction du sujet concerné — décide de l’activer. À l’époque, elle avait été créée en réaction à la guerre de Yougoslavie qui, à la fin des années 90, avait provoqué un afflux massif de réfugiés en Europe. Mais jamais une situation similaire n’avait déclenché sa mise en place. « Il a vraiment fallu un contexte totalement extraordinaire pour l’appliquer », précise Bérangère Taxil. « Cette directive était prête à être supprimée dans le cadre d’un projet de réforme de l’asile en Europe. »

La principale différence entre ce dispositif et le statut de réfugié concerne les démarches administratives. « Le régime juridique qui est associé à la protection temporaire permet d’avoir accès à des droits sociaux, là où les autres réfugiés sont soumis à des délais qui varient d’un État à l’autre », continue la spécialiste du droit international. « Au sein de l’Union européenne, les protégés temporaires peuvent immédiatement chercher un emploi, bénéficier de prestations sociales, d’accompagnement social, juridique, administratif, etc. »

Tandis que la protection est accordée automatiquement aux Ukrainiens, les autres exilés doivent faire une demande d’asile à l’OFPRA pour l’obtenir. Pendant cette procédure, longue et difficile, ils peuvent en théorie être hébergés dans des centres d’accueil, accéder aux soins et recevoir l’allocation pour demandeur d’asile (ADA). Après six mois, s’ouvre leur droit au travail.

Lexique

  • Migrant : Personne venant de l’étranger qui réside désormais en France. Souvent utilisé en politique.

  • Immigré : Personne née à l’étranger résidant en France. Une personne reste immigrée même après l’obtention de la nationalité française.

  • Étranger : Personne qui n’a pas la nationalité française.

  • Exilé : Personne vivant hors de son pays d’origine par contrainte. Évoque les souffrances psychologiques liées à une migration forcée.

  • Demandeur d’asile : Personne ayant demandé la protection du pays dans lequel il a fui.

  • Réfugié : Personne ayant obtenu le statut de réfugié auprès de l’OFPRA ou de la Commission des recours des réfugiés.

Un parcours du combattant

La demande d’asile

Afin d’obtenir le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, les exilés doivent passer par une procédure clé : la demande d’asile. Elle consiste à évaluer les motivations des exilés pour déterminer s’ils doivent être protégés et quel statut leur correspond. Pendant cet examen, les exilés disposent de droits provisoires, qui leur permettent de se maintenir sur le territoire Français.

File d'attente devant la préfecture de Strasbourg.

Photo : Abdesslam Mirdass / Hans Lucas

Pour entreprendre une demande d’asile, les exilés doivent passer par une plateforme téléphonique pour prendre un rendez-vous en Structure du Premier Accueil des Demandeurs d’Asile (SPADA). Cette étape permet aux exilés de prendre un rendez-vous en SPADA, afin de programmer un entretien et une prise d’empreintes avec la préfecture, au Guichet unique pour demandeurs d’asile (GUDA). Un dossier doit ensuite être envoyé à l’OFPRA, qui aboutit sur un entretien, puis l’examen final de la demande. Du fait de la complexité et de la longueur de cette procédure, elle constitue souvent à un véritable parcours du combattant pour les exilés.

Au moment de leur arrivée sur le territoire français, il n’existe aucun dispositif pour informer systématiquement les personnes qui souhaitent demander l’asile. La législation prévoit pourtant que les autorités doivent « fournir aux demandeurs des informations permettant de savoir où et comment la demande de protection internationale peut être introduite » (directive de l’Union européenne 2013/32/UE). En France, c’est à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) qu’incombe cette tâche. Seulement, de nombreux exilés n’ont aucune connaissance des démarches administratives à effectuer pour obtenir une protection.

Pour endiguer ce problème, certaines initiatives se mettent en place à l’échelle locale. À Paris, la ville a créé une maraude d’information spécifique, gérée par l’association France Terre d’Asile. Il leur est toutefois impossible d’accompagner l’ensemble des personnes qui aimeraient demander l’asile. Beaucoup finissent par découvrir la procédure auprès de leur communauté, d’autres arrivants ou demandeurs d’asile.

Depuis le 2 mai 2018, l’OFII a rendu obligatoire le passage par une plateforme téléphonique pour obtenir un rendez-vous en SPADA. Ce procédé constitue un obstacle majeur pour les exilés qui, en plus de manquer d’information sur la procédure, ont généralement peu de moyens et des difficultés à s’exprimer. Les agents de l’OFII répondent au téléphone du lundi au vendredi, de 10 h à 15 h 30, au prix d’un appel local, soit 6 centimes la minute. Il s’agit d’un frein de plus pour les exilés, qui n’ont pas toujours accès à un téléphone au moment de leur arrivée et qui ne disposent d’aucune ressource. « Obtenir un rendez-vous pour demander l’asile peut ainsi coûter près de 10 euros pour une seule matinée », dénonce Action contre la faim. Après l’appel, un SMS de confirmation est envoyé. Il faut souvent attendre plusieurs semaines pour obtenir un rendez-vous.

Résumé de la procédure de demande d'asile.

Face aux difficultés majeures que pose ce système aux exilés, plusieurs associations ont saisi le tribunal administratif de Paris. L’OFII a ainsi été condamnée à deux reprises pour la gestion de cette plateforme téléphonique pour avoir créé une « file d’attente virtuelle » avec ce dispositif. Les juges estiment également que le fait que le numéro soit payant constitue « une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile ». Le tribunal a rappelé que « le nombre d’agents doit être adapté en fonction des volumes d’appels entrants non honorés », pressant la préfecture de prévoir suffisamment de rendez-vous en GUDA et c’est à l’OFII de rendre le numéro de téléphone gratuit.

En 2021, le délai moyen d’obtention d’un rendez-vous en préfecture s’élevait à 15 jours. Il est bien plus élevé que le délai maximum de 3 jours ouvrés fixé par la loi française, qui peut être porté à 10 jours « lorsqu’un nombre élevé d’étrangers demande l’asile simultanément ». En juillet 2021, en Île-de-France, le Conseil d’État a déclaré le ministère de l’Intérieur incapable de témoigner du respect de ces délais. L’autorité a ainsi fixé une astreinte de 500 € par jour de retard tant que le ministre de l’Intérieur ne prenait pas les mesures nécessaires pour améliorer la situation.

Lors de l’enregistrement de la demande d’asile, la barrière de la langue forme un obstacle majeur à la compréhension des dispositifs d’accueil, ce qui affecte grandement la prise en charge des exilés. Les autorités sont toutefois tenues d’expliquer leurs droits aux demandeurs d’asile dans un délai de 15 jours, ainsi que de leur fournir des informations sur les organisations en mesure de les aider et les informer. En ce qui concerne les non-francophones, l’État est tenu d’apporter ces informations « dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu’il la comprend » (directive 2013/33/UE). Ces dispositions ne sont pas toujours appliquées, d’après les témoignages que nous avons pu recueillir.

Une fois la demande enregistrée au GUDA, les exilés ont 21 jours pour envoyer leur dossier par voie postale à l’OFPRA. Ils sont ensuite convoqués à un entretien de demande d’asile, qui précède l’instruction du dossier. La décision de l’OFPRA est finalement envoyée par courrier recommandé aux demandeurs d’asile.

En 2021, le délai moyen de traitement d’une demande d’asile est de 262 jours, d’après l’OFPRA. La complexité des démarches et la longueur des délais de traitement compliquent grandement l’arrivée des réfugiés sur le territoire français.

Procédure accélérée : pour un rejet plus rapide

Certaines catégories d’exilés peuvent bénéficier d’une procédure accélérée pour leur demande d’asile. En procédure normale, conformément à la loi, l’OFPRA est censée statuer sur une demande dans les six mois qui suivent son introduction. Ce délai peut légalement être étendu jusqu’à 21 mois dans certaines conditions. Pour les demandes placées en procédure accélérée, il est ramené à 15 jours.

Une demande est placée en procédure accélérée lorsque les guichets pour les demandeurs anticipent son rejet. Ce processus a été créé dans la perspective d’un refus rapide de la demande de protection. Les exilés originaires d’un « pays considéré comme pays d’origine sûr », qui ne présente pas un danger particulier selon les institutions, sont systématiquement traités dans un délai de 15 jours. Il en va de même pour les demandes de réexamen après un refus. Sur décision des GUDA, les demandes d’asile tardives, faites plus de 90 jours après l’arrivée en France, peuvent également être placées en procédure accélérée. Dans ces cas-là, les autorités sont censées se montrer réceptives aux motifs « légitimes » qui pourraient expliquer cette attente. Dans les faits, la légitimité de ces motifs n’est pas définie par la loi et les demandes tardives sont placées en procédures accélérées de manière quasi systématique.

Contrevenir à la procédure de demande d’asile amène également à l’accélération des délais : en cas de refus d’enregistrer ses empreintes digitales, plusieurs demandes déposées sous différentes identités, dissimulation d’informations, faux documents ou fausses informations communiqués aux autorités. La procédure est également traitée plus rapidement dans le cas où l’exilé serait perçu comme une « menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État ».

Le règlement Dublin : de la responsabilité d'un exilé

« Si j’enregistre mes empreintes en France, pour demander de l’aide, on me renverra en Italie. C’est là-bas que je suis arrivé en premier, et c’est là-bas que j’ai enregistré mes empreintes. Mais je ne veux pas retourner en Italie », raconte Hassan, exilé soudanais dans un camp de Calais. Comme beaucoup d’autres exilés, Hassan est « dubliné ». Ce terme désigne les demandeurs d’asile qui font l’objet d’une procédure conforme au règlement 604/2013/UE de 2013, généralement appelé « règlement Dublin ».

Le règlement Dublin vise à déterminer quel État est responsable d’une demande d’asile parmi les pays participants (États de l’Union européenne, Islande, Liechtenstein, Norvège, Royaume-Uni et Suisse). Si un État considère qu’un autre État est responsable d’une demande d’asile, il peut ainsi lui adresser une requête afin de prendre en charge cette demande. En cas d’accord, l’exilé est transféré dans les six mois qui suivent, de manière volontaire ou forcée.

Alors, comment déterminer l’État responsable d’une demande d’asile ? « L’État responsable est avant tout celui dans lequel le demandeur d’asile a des liens familiaux », explique la spécialiste du droit international Bérangère Taxil. « Même si une mère arrive en Italie, elle pourra rejoindre ses enfants s’ils sont en France ou en Allemagne. Donc ce qui régit principalement l’application de Dublin, c’est le lien familial. Quand ce n’est pas un lien familial, si la personne a obtenu un visa pour arriver en Europe, c’est l’État qui lui a délivré le visa qui sera responsable de l’étude de la demande d’asile. Pour ceux qui arrivent de manière irrégulière et qui n’ont pas de famille, on passe au dernier critère : le premier pays dans lequel ils seront arrivés devra étudier leur demande d’asile. »

Le règlement Dublin contraint de nombreux exilés, essentiellement les hommes seuls, à choisir entre vivre sans aide ou retourner dans le premier pays dans lequel ils sont arrivés. À l’enregistrement des empreintes en préfecture, la France pourra déclencher une procédure de dublinage pour un exilé dont les empreintes ont déjà été enregistrées dans un autre État. Ces informations sont accessibles dans la base de données Eurodac, qui centralise les informations sur les exilés en Union européenne. En théorie, un exilé ayant demandé la protection de l’Italie avant de venir en France devrait y être envoyé.

En pratique, en France, « il n’y a que 17 % des cas qui sont véritablement transférés et c’est là où Dublin ne fonctionne pas », explique Bérangère Taxil. « La plupart des transferts ne se font pas parce que l’État de destination ne répond pas et on ne peut pas renvoyer une personne dans un autre pays si cet autre pays n’accepte pas de la récupérer. » Sur 45 907 dublinés en en 2019, la part des transferts ne représente que 5312 personnes. La vaste majorité restante est amenée à rester sur le territoire français sans possibilité de demander l’asile et donc de bénéficier d’une aide.

« La mise en œuvre du mécanisme de Dublin est inefficace au possible et extrêmement coûteuse », continue Bérangère Texil. « C’est probablement ce qui est le plus critiqué à l’heure actuelle dans le système européen de l’asile. »

La complexité des démarches et les restrictions posées par la loi européenne limitent grandement l’accès des exilés à l’aide de la France, à l’exception des réfugiés ukrainiens. « Aujourd’hui, quand les personnes exilées arrivent sur le territoire français, elles sont laissées à elles-mêmes. Et c’est une volonté, parce que si on parle de volonté d’accueillir, on parle aussi de volonté de laisser ces personnes à la rue », dénonce Nikolaï Posner, coordinateur de la communication pour Utopia 56.

Trouver un toit

L'hébergement des exilés

Lorsqu’un exilé arrive en France, plusieurs solutions se présentent à lui pour son hébergement. La plupart des dispositifs sont sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et ils ont chacun leurs spécificités. Indépendamment de ces propositions, de nombreux campements irréguliers sont nés partout en France. Comment fonctionnent les dispositifs d'hébergement pour les exilés ?

Les exilés manifestent pour leurs droits, à Pantin, le 3 avril 2022.

Photo : Benjamin Moubeche

La grande crise migratoire qui a touché la France en 2015 a forcé le ministère de l’Intérieur à réinventer son dispositif national d’accueil. Ce dispositif est principalement réservé aux exilés qui demandent, ou veulent demander l’asile en France, mais aussi à ceux bénéficiant de la protection internationale. Les exilés qui ont enregistré une demande d’asile en France ont des droits, notamment celui de « conditions matérielles d’accueil ». Elles comprennent le logement, la nourriture et l’habillement. C’est l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) qui est en théorie chargé de proposer les « conditions matérielles d’accueil ». Mais dans les faits, l’accès à l’hébergement n’est abordé que sommairement et est difficilement compréhensible pour les réfugiés.

Pour accéder à ces centres d’accueil, il existe trois voies principales :

  • Les réfugiés peuvent demander un hébergement lors de la rencontre avec l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) comme prévu par les "conditions matérielles d'accueil".

  • Indépendamment de cette ressource officielle, des solutions ont été mises en place par la Mairie de Paris. L’association Emmaüs Solidarité s’occupe d’un centre de premier accueil qui permet aux exilés d’accéder à un hébergement temporaire avant d’être orienté vers les centres d’accueil.

  • Enfin, lorsqu’un campement irrégulier est évacué en région parisienne, des bénévoles de France Terre d’Asile orientent les exilés vers les centres d’accueil.

Schéma d'accès à l'hébergement.

Les Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA)

C’est le dispositif qui regroupe le plus de places en France, 46 600, réparties principalement en île de France, Auvergne-Rhône-Alpes et Grand Est. Les Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile sont gérés par plusieurs opérateurs. On compte parmi eux COALLIA, une association subventionnée par l’État ou encore ADOMA, une société créée par les pouvoirs publics pour accueillir les travailleurs exilés. Le nombre de places en CADA ne cesse d’augmenter, l’objectif étant d’arriver à 50 000 rapidement.

Pour accéder à ces centres d’accueil, il faut être en procédure de demande d’asile normale ou faire partie des personnes vulnérables qui bénéficient d’une procédure accélérée. Elles permettent aux demandeurs d’asile d’avoir accès à un hébergement, mais aussi à différents suivis : administratif pour la procédure de demande d’asile, social pour l’accès aux soins et la scolarisation des enfants. Les CADA apportent aussi une aide financière et alimentaire pour les exilés.

Dans les chiffres

  • 96 % des réfugiés interrogés ont déjà dormi à la rue ou en squat.

  • 26 % des demandeurs d’asile interrogés déclarent être hébergés par l’État.

  • 55 % des répondants déclarent avoir besoin d’un hébergement.


Sur près de 500 exilés interrogés par Action contre la Faim en 2021.

L’Hébergement d’Urgence pour Demandeurs d’Asile (HUDA)

Ce dispositif régional a été mis en place pour accueillir les exilés qui n’ont pas obtenus d'hébergement en CADA, que ce soit parce qu’ils ne répondent pas aux critères ou parce qu’il n’y a plus de place. Les CADA comptaient environ 43 000 places en 2019, mais 36% de ces places étaient des nuitées d’hôtel dans les grandes villes françaises. Le but du gouvernement est de réduire ces places jugées « instables » à 10%, en ouvrant des structures stables.

Pour avoir le droit à un HUDA, il faut être en attente d’une place en CADA ou ne pas pouvoir y être admis pour plusieurs raisons : le réexamen de la procédure de demande d’asile, et le règlement de Dublin. Les exilés qui sortent d’un CADA peuvent aussi être admis dans un Hébergement d'Urgence pour Demandeurs d'Asile, s’ils sont bénéficiaires de la protection subsidiaire, c’est-à-dire qu’ils courent un risque de mort, de torture dans leur pays.

En réalité, il est très compliqué pour les exilés de trouver une place dans les centres d’accueil ou dans les hébergements d’urgence. « Nous accueillons un jeune Afghan chez nous. Il est sous protection subsidiaire, mais nous avons beaucoup de mal à lui trouver un logement. Même avec la protection subsidiaire, c’est difficile. Tout est enchevêtré, toutes les procédures sont très compliquées », témoigne Odile Froze, vice-présidente de l’association Darah Afghanistan, qui œuvre depuis 1981 pour soutenir le peuple afghan et la reconstruction du pays grâce à l’éducation.

En dehors de ces deux types d’hébergement, il existe des centres de tri qui orientent les exilés vers l’accueil dont ils peuvent bénéficier. Des centres de transit sont aussi à disposition des exilés qui bénéficient de la protection internationale si leurs droits fondamentaux sont menacés sur un territoire. Enfin, le dernier dispositif mis en place pour l’hébergement des réfugiés est celui de « préparation au retour ». Il consiste en la surveillance et l’expulsion des exilés assignés à résidence. Ce dernier inclut les « dublinés », c’est-à-dire les personnes qui demandent l’asile en France alors qu’ils ont été enregistrés dans un autre pays européen, et les déboutés de la demande d’asile.

Depuis la mise en place des nouveaux dispositifs d’hébergement, les associations qui accompagnent les exilés constatent une augmentation du tri et du contrôle des exilés. L’orientation des personnes vers les centres qui correspondent à leur situation permet au ministère de l’Intérieur d’avoir un regard sur les exilés et donc de contrôler l’immigration sur le territoire.

Pour les réfugiés ukrainiens sous protection temporaire

Le logement pour les exilés ukrainiens est prévu dans la protection temporaire. À leur arrivée sur le territoire français, ils sont orientés vers des centres d’accueil d’urgence pour une à deux nuits. Les travailleurs sociaux font le constat des situations personnelles de chaque exilé, pour les orienter vers un centre d’accueil provisoire. Il peut rester quelques semaines ou mois avant de disposer d’un logement. Pour ce logement, ils peuvent bénéficier des aides personnalisées au logement (APL) en effectuant une demande sur le site de la Caisse d’Allocations Familiales.

En dehors de la voie officielle, de nombreux particuliers se sont proposés pour accueillir des exilés ukrainiens. L’État prévoit sur chaque territoire un recensement des particuliers par le biais d’une association. À Saint-Germain-en-Laye, dans les Yvelines, c’est l’association Aurore qui s’occupe de la coordination entre particulier et exilé. La préfecture a missionné cette association afin d’accompagner au mieux les familles d’accueil dans leur démarche.

« Il y aura une convention qui sera signée entre l’hébergeur, l’hébergé et l’association Aurore pour l’accompagnement. En parallèle de ça, il y a une trentaine de familles Saint-Germainoises qui ont accueilli spontanément des Ukrainiens parce qu’ils connaissaient la cousine, la sœur, l’ami et ces personnes-là. On commence à les identifier », explique Priscille Peugnet, maire adjointe chargée du Tourisme, de la Vie Associative et de la Citoyenneté de Saint-Germain-en-Laye. L’accueil spontané commence à être cerné par les municipalités afin d'orienter les hébergeurs et les exilés vers les associations missionnées.

Campement en région parisienne

Le Cheval Noir

Lorsqu’un exilé arrive en France, plusieurs solutions se présentent à lui pour son hébergement. La plupart des dispositifs sont sous la tutelle du ministère de l’Intérieur et ils ont chacun leurs spécificités. Indépendamment de ces propositions, de nombreux campements irréguliers sont nés partout en France. Comment fonctionnent les dispositifs d'hébergement pour les exilés ?

Le camp du Cheval Noir, à Pantin, en région parisienne.

Photo : Raphael de Bengy / www.raphaeldebengy.com

À Pantin en Seine Saint-Denis, un campement d’exilés afghans s’est établi sur un terrain vague proche des commerces. En 2021, avant l'hiver, ce camp avoisinait le canal de l’Ourcq, 150 Afghans y dormaient. Ils ont été mis à l’abri, pour ensuite s’installer à Pantin sur le campement du  Cheval Noir. Les exilés vivent dans des tentes. Quelques palettes alimentent un feu allumé en permanence pour se réchauffer. Depuis peu, les occupants ont accès à l’eau et à des sanitaires.« Par exemple, la question des toilettes arrive très tard. Aujourd’hui, sur le camp, on compte plus de 150 personnes et les toilettes ne sont pas installées depuis très longtemps. L’eau n’est pas là depuis très longtemps non plus, mais on a réussi à l’obtenir », témoigne Raphaël De Bengy, l'un des membres fondateurs de Pantin Solidaire.

Pantin Solidaire est un collectif de citoyens qui a vu le jour pour venir en aide aux exilés du camp du Cheval Noir. Les bénévoles présents constatent une arrivée quotidienne de nouveaux Afghans. « Tous les jours, il en arrive. Des fois par cinq, quelquefois même plus. Ça devient difficile. Actuellement, je pense qu’ils sont environ 200 », s’inquiète Cécile Reyes, membre du collectif.

Des associations, comme Solidarité Migrants Wilson se chargent de distribuer des repas chauds. L’action de Pantin Solidaire relève plus de l’accompagnement dans la vie quotidienne. « On dispose de deux salles au restaurant Le Relais », explique Cécile Reyes. « Les vendredis et samedi après-midi, on organise des repas et on donne des cours de français aux exilés qui le souhaitent. On compose avec notre niveau, en fonction de leur envie d’apprendre, de leurs capacités en anglais et en français. On les aide aussi sur le plan administratif et juridique. Très récemment, on a réussi à entrer en contact avec des médecins et psychologues. Certains exilés sont en détresse totale et ont besoin d’un suivi médical. »

L’intervention de ces bénévoles permet aussi d’orienter les exilés vers des soins lorsque c’est nécessaire. « Il y a 3 semaines, j’étais sur le camp. Au moment où je devais partir, l’un des Afghans m’a fait entendre qu’il était blessé à une jambe et qu’il avait besoin de voir une infirmière », raconte Mathieu, l’un des bénévoles. « Avant, on avait eu beaucoup de mal à se comprendre pour des phrases très simples, mais là, en deux minutes, il a réussi à exprimer sa douleur. Il a fallu deux heures d’échanges pour qu’il ait suffisamment confiance pour parler de sa blessure. Il s’était blessé sur le chemin en arrivant en France, dans la forêt, et il avait vu une infirmière au relais qui lui avait donné quelques antiseptiques et bandages. Comme il avait toujours mal au bout de trois jours, il voulait voir un soignant. Il aurait pu le dire dès le début parce qu’il avait mal, mais il n’était pas encore en confiance. »

L’association Médecin du Monde intervient auprès des exilés afghans sur le site du Cheval Noir. Les bénévoles dénoncent la situation de détresse alimentaire dans laquelle se trouvent les exilés. « Toutes les semaines, nous sommes sur le campement du Cheval Noir à Pantin. Vendredi, quand je suis arrivé, il neigeait. Il y avait 10 personnes âgées de 20 à 30 ans qui étaient autour d’un tout petit feu, et qui avaient cinq œufs durs pour manger. Ils m’ont dit que c’était aujourd’hui leur seule perspective de nourriture. », déplore Paul Alauzy, chargé de projet sur la veille sanitaire dans l’association.

Des exilés afghans cuisinent sur un feu de camp à Pantin.

Photo : Raphael de Bengy / www.raphaeldebengy.com

La mise à l’abri du campement aurait dû être faite il y a un mois. Mais avec l’arrivée des réfugiés ukrainiens sur le territoire français, les associations regrettent que tout ait été mis en pause.

Dans les chiffres

  • En 2020, sur les 84 507 personnes ayant déposé une demande d’asile au guichet unique des demandeurs d’asile (GUDA), 45,8% l’ont fait en Île-de-France.

  • 70 % des demandeurs d’asile en Île-de-France ne sont pas hébergés dans le dispositif national d’accueil.

  • En 2020, le nombre de places d’hébergement s’élevait à 100 044, dont seulement 17,7 % en Île-de-France.

Entretien

Anwar, exilé afghan

Anwar, exilé afghan s'abritant sur le camp du Cheval Noir, se réchauffe dans une salle mise à disposition par Pantin Solidaire.

Photo : Benjamin Moubeche

D'où venez-vous et quand êtes-vous arrivé en France ?

Je viens d’Afghanistan et je suis arrivé en France il y a un mois. C’est la guerre là-bas. J’étais en danger, les Talibans voulaient me tuer.

Pouvez-vous nous raconter votre voyage jusqu’en France ?

Je suis passé par le Pakistan, l’Iran, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie, l’Autriche, l’Angleterre et ensuite je suis arrivé en France. Maintenant, j’ai fait la demande d’asile ici.

Avez-vous enregistré vos empreintes dans une préfecture en France ?

Mes empreintes ont été enregistrées en Bulgarie, donc on veut me renvoyer là-bas à cause de Dublin (le règlement de Dublin, ndlr). Mais je ne veux pas retourner en Bulgarie. La police et l’armée bulgare voulaient nous chasser quand j’y étais.

Avez-vous été bien accueilli en France ?

Dès mon premier jour en France, j’ai été mal accueilli. Je suis arrivé à l’arrière d’un camion et on m’a tout de suite dit que je n’avais rien à faire là. Il a fallu que j’aille dans un camp, puis un autre camp, et encore un autre. On nous aide rarement. Donnez-moi un travail et je me rendrai utile. Tout ce que je veux c’est travailler pour avoir de quoi vivre, mais on ne me laisse pas le faire. Je ne suis pas allé à l’école en France, je sais que c’est un problème, mais je suis prêt à travailler dur.

Entretien

Billal, exilé afghan

Billal, manifestant pour un accueil égal de tous les exilés, le 3 avril 2022, à Pantin.

Photo : Benjamin Moubeche

D'où venez-vous et quand êtes-vous arrivé en France ?

Je suis arrivé il y a deux mois, d’Afghanistan.

Pourquoi avez-vous quitté l'Afghanistan pour venir en France ?

J'ai fui parce que j'étais en danger là-bas. En Afghanistan, le gouvernement est tombé entre les mains des Talibans. Nous devions quitter notre pays.

Quand vous êtes arrivés en France, comment avez-vous été accueillis ?

La vie ici est difficile. Nous ne sommes pas traités comme des êtres humains. Nous avons besoin de certaines choses pour vivre, comme un hébergement, et nous ne les avons pas. Nous vivons dans des camps et nous n'avons pas assez de nourriture.

Quand vous avez quitté l'Afghanistan, comment imaginiez-vous la France ?

Quand je pensais à la France, je pensais que je serais en sécurité ici. Je pensais aussi que les gens qui venaient en France étaient accueillis, mais j'ai l'impression que les choses ont changé.

Avez-vous fait les démarches pour demander l'asile ?

Oui, j'ai demandé l'asile et l'aide de la France. Il a fallu enregistrer mes empreintes et passer par une longue procédure. Ça m'a pris un mois après mon arrivée. J'attends toujours la réponse du Gouvernement.

Pensez-vous qu'il y ait un double standard dans l'accueil des exilés en France ?

Certainement, parce que les réfugiés ukrainiens arrivent ici, on leur donne des maisons. Je déteste ça, j'ai l'impression que l'État se sent désolé pour eux, mais pas pour nous. Leur situation est terrible aussi, mais ils ont des maisons et de quoi vivre. Pas nous.

Se faire aider

L'accès aux soins

Le voyage et les conditions des exilés mettent souvent leur santé en danger. En France, les personnes protégées, les demandeurs d’asile et même les étrangers en situation irrégulière disposent d’un droit d’accès aux soins. Dans les faits, ces droits sont difficiles à faire valoir pour de nombreuses raisons.

Les locaux de Médecins du Monde, à Saint Denis.

Les conditions de vie des exilés précaires les exposent à de multiples maladies et blessures. Dans les camps, les problèmes médicaux sont monnaie courante. « En vivant sous une tente, que l’on soit afghan ou français, on attrape tous les virus qui passent », explique Paul Alauzy, chargé de projet sur la veille sanitaire de Médecins du Monde Paris. « Les exilés ont des douleurs ostéo-articulaires, parce qu’ils n’ont pas un bon matelas. Ils peuvent être traumatisés par la guerre, séparés de leur famille… tout cela mène à des traumatismes psychiques. »

Dans une enquête réalisée en 2021 par l’ONG Action contre la faim auprès d’un peu moins de 500 exilés, 40 % des répondants exprimaient le besoin d’un suivi médical.

Conformément aux directives de l’Union Européenne, la France est tenue de faire en sorte que « les demandeurs reçoivent les soins médicaux nécessaires qui comportent, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves » (Directive 2013/33/UE, article 19). Le même texte prévoit que les États membres leur fournissent une assistance médicale adaptée à leurs besoins particuliers, notamment « des soins de santé mentale appropriés ».

Au-delà des textes, une réalité difficile

En théorie, des Permanences d’Accès aux Soins de Santé (PASS) sont ouvertes aux personnes en situation de précarité dans la plupart des hôpitaux, indépendamment de leur situation administrative. Le dispositif prévoit que les exilés puissent être pris en charge par des médecins et que des médicaments leur soient délivrés gratuitement.

En pratique, obtenir cette aide est difficile. Face au nombre de demandes, les PASS sont souvent saturées. Cette surcharge compromet grandement la qualité et l’accessibilité des soins. Certaines « n’accueillent pas tous les malades de façon inconditionnelle » et « ne permettent pas toujours un accès au traitement », dénonce l’Observatoire de l’accès aux droits et aux soins de Médecins du Monde.

La saturation des services pose également problème en ce qui concerne la rapidité des soins. « Les délais pour une prise de rendez-vous peuvent aller jusqu’à cinq semaines », note l’organisme. À ces cinq semaines, s’ajoute une longue attente pour obtenir la sécurité sociale. Les demandeurs d’asile majeurs doivent attester de trois mois de résidence ininterrompue sur le territoire pour bénéficier de la Protection Universelle Maladie (PUMa). Cette protection leur permet d’être pris en charge gratuitement pour tous leurs frais médicaux et hospitaliers, ainsi que ceux de leur famille.

Au-delà de la saturation des services, les procédures empêchent parfois les exilés d’accéder à des soins. Pour obtenir la PUMa, les demandeurs d’asile doivent adresser une demande à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) de leur département de domiciliation. Le ministère de l’Intérieur, sur son site, indique compter sur les centres d’hébergement et les SPADA pour les aider dans cette démarche.

Pour la majorité des demandeurs d’asile, qui ne dispose ni d’une véritable aide juridique ni à un accompagnement administratif, ce processus constitue un frein majeur. La complexité de la procédure, la longueur des délais et le manque d’accessibilité des services ralentissent grandement l’accès aux soins pour les exilés. Dans le pire des cas, elles les en tiennent éloignés.

Les étrangers en situation irrégulière, eux, ont droit à l’Aide Médicale de l’État (AME). Ce dispositif a été mis en place pour leur permettre d’accéder à des soins malgré leur statut. Il est toutefois nécessaire de remplir un dossier pour la demander, puis pour la renouveler chaque année.

Il est souvent difficile pour des exilés en condition précaire de réaliser de telles démarches et de prendre des rendez-vous sur le long terme tant leur situation est instable. De plus, la barrière de la langue, ainsi que le manque d’accompagnement social et administratif sont autant d’obstacles supplémentaires pour obtenir des soins. « Les services de l’État ne sont pas très favorables aux soins des migrants, surtout des clandestins », constate le Dr Philippe Le Ferrand, responsable du service précarité santé mentale de Rennes. « Le discours que l’on entend, c’est que puisqu’ils n’ont pas vocation à rester sur le territoire français, ils n’ont donc pas vocation à être soignés. Il n’y a pas de ligne budgétaire pour prendre en charge les clandestins. »

Des alternatives pour les exilés à la rue

Dans la mesure où il est souvent difficile pour les exilés d’accéder à des soins dans le milieu hospitalier, des alternatives d’urgence sont mises en place par les associations et les services de santé.

Plusieurs organisations ont créé des équipes mobiles pour venir directement au contact de ceux qui ont besoin de soin. « Nous intervenons auprès de tous les exilés qui sont dans la rue », explique Paul Alauzy, membre de l’action mobile de Médecins du Monde.

Paul Alauzy, membre de l'action mobile de Médecins du Monde.

Photo : Benjamin Moubeche

Le même système s’est mis en place dans l’hôpital public, pour offrir des soins aux personnes précaires à la rue. « Il y a 20 ans, nous avons créé des équipes de santé qui vont vers les gens pour les rencontrer et voir ce qui ne va pas. Le point de départ des équipes mobiles, au moins ici, c’est ça », raconte le Dr Philippe Le Ferrand. « Il se trouve que depuis 10 ans, beaucoup de migrants sont arrivés à Rennes », continue-t-il. « Il y a à peu près 2000 arrivées par an. Le point commun avec les autres personnes précaires, c’est la rue. En revanche, les migrants sont très demandeurs de soin, ce qui n’est pas le cas des précaires habituels. C’est parce qu’ils n’ont pas de domicile que les équipes mobiles sont amenées à les rencontrer en première instance. Elles vont faire le point avec eux et les orienter vers les services appropriés. »

Ces équipes mobiles ne constituent pas une fin en soi. Elles font office de solution intermédiaire, faute de mieux. « Intervenir médicalement dans la rue n’est pas évident », rappelle Paul Alauzy. En dehors du cadre hospitalier, les exilés peuvent difficilement trouver le calme nécessaire pour se reposer et récupérer.

L’exception ukrainienne

Face à l’afflux de réfugiés en provenance d’Ukraine, l’Assurance Maladie a annoncé le déploiement d’un dispositif spécifique pour « permettre la prise en charge immédiate de leurs frais de santé ». Ainsi, « le gouvernement a souhaité que ces personnes puissent bénéficier, dès leur arrivée en France, de la Protection Universelle Maladie » pour laquelle les autres réfugiés doivent attendre trois mois.

Le statut spécifique des réfugiés ukrainiens leur permet un accès immédiat aux soins. De plus, des dispositifs particuliers sont mis en place pour les accompagner sur le plan médical. « À Rennes et dans d’autres villes, on a vu l’ouverture de cellules d’urgence médico-psychologique pour les Ukrainiens », explique le Dr Marie-José Giraud, médecin psychiatre au centre hospitalier Guillaume Régnier de Rennes. Déployées à la suite d’un événement traumatisant, les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP) permettent la prise en charge immédiate des victimes par des spécialistes de la santé mentale. « Nous n’en avions pas ouvert à Rennes pour les Afghans », précise le Dr Giraud.

Ces mesures mises en place pour les Ukrainiens marquent une inégalité entre les étrangers qui se réfugient en France. « Il y a vraiment une différence de traitement entre les Ukrainiens et les autres », dénonce Paul Alauzy. « Mais j’essaie de le voir sous un angle positif. Je me dis que, pour la première fois, on a la preuve qu’il est possible de faire de la France une terre d’accueil et de solidarité. »

La santé mentale des exilés

Beaucoup d’exilés fuient des situations particulièrement difficiles. Ce qu’ils ont vécu avant leur fuite laisse parfois des séquelles sur leur santé mentale qui demandent un accompagnement personnalisé. « Le trouble qui est vraiment spécifique aux migrants, c’est le syndrome post-traumatique », explique le Dr Le Ferrand. « On considère que 20 % des migrants qui arrivent ont un syndrome post-traumatique. Ce sont toutes les victimes de torture et de barbarie, des victimes de guerres civiles. Le traumatisme psychique est une pathologie psychiatrique qui devrait être prise en charge à l’hôpital psychiatrique. »

Toutefois, les soins psychiatriques et l’accompagnement psychologique des exilés sont souvent très difficiles. « Il y a la barrière de la langue, le problème du statut et le problème de la compétence des professionnels », résume le Dr Le Ferrand. « En France, très peu de gens sont traumatisés. Chez les migrants, il y en a énormément. Le syndrome post-traumatique est très nouveau dans notre pratique, donc personne n’y est formé. Au début, on était assez désemparés, parce qu’on n’avait jamais soigné des personnes victimes de tortures, par exemple. »

Dans un milieu précaire, les exilés ne sont pas dans des conditions idéales pour affronter ces maux. Confrontés à l’insécurité de la rue, ils ne remplissent pas les critères de sécurité psychique pour être correctement soignés. « Nous ne pouvons pas trop toucher à leur équilibre psychologique, parce que les conditions ne sont pas favorables », déplore le psychiatre.

Cette situation est cependant vouée à s’améliorer. « Des centres de traumas sont développés un peu partout en France », explique-t-il. Jusqu’ici en nombre très limité sur le territoire, la création de ces structures — d’abord à destination des Français — est un signe encourageant. Elle devrait permettre de traiter en partie les problèmes des exilés qui fuient la guerre, la torture ou d’autres situations traumatisantes.

Au-delà du trauma, certains exilés sont atteints par les mêmes pathologies qui touchent les Français : les troubles dépressifs, la schizophrénie ou la bipolarité, par exemple. Avec un faible nombre d’interprètes disponibles, le traitement de ces problèmes est grandement compliqué par la barrière de la langue. De plus, les conditions de vie des exilés en situation précaire ne permettent pas la mise en place d’un traitement pour ces pathologies.

Il y a également un deuxième trouble spécifique aux exilés, que certains cliniciens appellent le syndrome d’Ulysse. « C’est une sorte de burn-out psychosocial », explique le Dr Philippe Le Ferrand.

« C’est un épuisement à force d’épreuves, qui touche ceux qui sont en errance totale, sur les routes depuis deux ou trois ans, parfois 10. » Alors que le repos est le principal remède à ce trouble, ceux qui en souffrent ne sont parfois pas en mesure de récupérer.

Le syndrome d'Ulysse

Le syndrome d’Ulysse, aussi connu comme le « syndrome de l’immigrant » est un trouble psychologique caractérisé par un stress extrême que des exilés peuvent rencontrer lorsqu’ils doivent s’installer dans un nouveau pays. Les exilés victimes du syndrome d’Ulysse éprouvent généralement plusieurs sentiments :

  • Solitude : éloignement de leur famille, isolement culturel, discrimination

  • Échec : fuite de leur pays, pression économique et familiale, incapacité à accéder au marché du travail, à un hébergement et à des soins

  • Peur : conditions de voyage dangereuses, peur d’être arrêté ou déporté, exposition constante aux dangers dans la rue

  • Sens de la lutte pour la survie : difficulté à trouver de la nourriture, de l’eau et un abris


Ce syndrome a été décrit par le Dr. Joseba Achotegui, psychiatre et professeur à l’Université de Barcelone. Le nom trouve son origine chez le héros mythique Ulysse qui, perdu pendant dix ans sur le chemin du retour à Ithaque, était empêché de retourner dans son pays natal malgré sa grande détermination.

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La France, grande terre d'asile

Le nombre d’exilés dans le monde n’a jamais été aussi élevé. Selon le rapport des Nations Unies sur les réfugiés de 2020, plus de 82 millions de migrants fuient des persécutions, des conflits, des violences ou des violations des droits de l’Homme. C’est deux fois plus qu’en 2010.

La France est la quatrième terre d’asile derrière les États-Unis, l’Allemagne et l’Espagne. On pourrait donc penser que l’augmentation du nombre d’immigrés en France a été plus importante que dans le reste du monde sur la période 2010-2020. En réalité, la France comptait environ 5,5 millions d’immigrés sur son territoire en 2010, contre près de 7 millions en 2020, soit une hausse de 27 %. C’est bien moins que l’augmentation mondiale sur la même période.

L’Union européenne est l’une des principales zones d’accueil dans le monde. En effet, 5,1 % de non-Européens vivent dans l’UE, selon l’agence de statistique européenne Eurostat. Il y a plusieurs explications à cela.

Tout d’abord, la proximité géographique entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient facilite les migrations par voie terrestre ou maritime par la Méditerranée. En 2020, 44 % des demandeurs d’asile dans l’Union européenne venaient d’Afrique ou du Moyen-Orient.

Enfin, l’Europe apparait comme un idéal en matière de qualité de vie et d’opportunités économiques. Cette idée reçue est d’ailleurs source de désillusion pour bon nombre d’exilés à leur arrivée en Europe. Billal, réfugié afghan, vit dans des conditions éprouvantes dans le camp de Pantin près de Paris. « Quand je pensais à la France, je pensais que je serais en sécurité ici. Je pensais aussi que les gens qui venaient ici étaient accueillis, mais j’ai l’impression que les choses ont changé », déplore-t-il. Bloqué en France puisqu’il ne peut pas retourner en Afghanistan depuis la prise de pouvoir des talibans en août 2021, Billal attend toujours que sa demande d’asile soit traitée par l’OFPRA.

Si on se penche sur la question des demandes d’asile et du taux de protection dans les pays de l’UE, la France est à contre-courant de la tendance générale. En 2020, 521 000 demandes d’asile ont été rendues en première instance en UE, avec un taux d’acceptation de 41 %. La même année en France, sur les 81 700 premières demandes d’asile, seulement 23,2 % ont été acceptées.

Une explication possible serait que certains États de l’Union relèvent le taux d’acceptation en accordant massivement l’asile à certaines communautés. Par exemple, le taux de protection des Afghans en Italie, la quatrième plus grande terre d’asile en Europe, est de 94 %.

L’augmentation du nombre d’immigrés en France reste donc assez limitée face à l’augmentation globale à l’échelle mondiale. Parmi les pays de l’Union européenne, l’hexagone ne fait pas bonne figure. En effet, il affiche un taux de protection nettement inférieur au taux européen. Paradoxalement, la France demeure l’une des principales destinations pour les exilés.

Avancer vers l'autonomie

Travail, allocations

Le travail et les allocations sont d’une importance capitale, vitale pour les exilés. Alors que les exilés en provenance d’Afrique ou du Moyen-Orient peinent à trouver un emploi, le gouvernement a mis en place une plateforme en ligne dédiée à l’embauche des réfugiés ukrainiens. Plus de 600 entreprises se sont inscrites sur cette plateforme, et plus de 7 000 offres d’emplois ont été adressées aux exilés ukrainiens, d’après la ministre du Travail Élisabeth Borne.

La plateforme lesentreprises-sengagent.gouv.fr en faveur des « personnes déplacées en France ».

Dans une enquête d’Action contre la Faim menée auprès de 500 exilés, 52 % des répondants de plus de 25 ans n’ont accès à aucune source de revenus. La situation est encore pire pour les primo-arrivants (ceux qui n’ont pas encore fait de demande d’asile), puisque 79 % d’entre eux affirment n’avoir aucune ressource.

Délais importants et complexité des démarches

Obtenir le droit de travailler n’est pas une chose simple pour un exilé. Pour accéder à l’emploi, il doit obligatoirement faire une demande d’asile auprès de l’OFPRA. Il obtient une autorisation de maintien sur le territoire le temps que l’administration décide s’il doit être protégé. Il peut ainsi être hébergé dans un centre d’accueil, percevoir l'Allocation pour Demandeur d’Asile (ADA) et être soigné. Cependant, il ne peut pas avoir accès au travail avant six mois. Avec un temps moyen de traitement d’une demande d’asile de 262 jours, soit plus de huit mois, les exilés se retrouvent pour la plupart dans des situations de grande précarité.

Tandis que tous les exilés doivent demander l’asile et attendre six mois pour obtenir le droit de travailler, les Ukrainiens bénéficient d’une procédure particulière. Le dispositif de protection temporaire leur débloque un accès sans délai au travail.

Matiullah et Sherbaz, deux exilés afghans, travaillent dans une scierie française.

Photo : Thierry Zoccolan/AFP

La politique de l'immigration choisie

La question de l’immigration occupe une place importante en cette période d’élection présidentielle. Beaucoup de politiques, pour l’écrasante majorité de droite, disent vouloir réduire l’immigration en France en instaurant une sélection. C’est le cas de Pierre-Henry Dumont, député Les Républicains de la circonscription de Calais. « Combien de jobs ne sont aujourd’hui pas pourvus sur le marché du travail, et pour lesquels on pourrait trouver des compétences qui viennent de l’étranger ? », demande-t-il.

L’immigration du travail représente 13 % de l’immigration en France. C’est beaucoup moins que dans les autres pays de l’OCDE. « En Allemagne, l’immigration du travail représente un tiers de l’immigration totale. Il faut augmenter l’immigration du travail sur des compétences précises », explique Pierre-Henry Dumont.

Il est vrai que certains secteurs peinent à embaucher, comme dans la boulangerie, la chaudronnerie ou la soudure. « J’ai des positions très dures sur les questions migratoires », admet-il. « Mais si un étranger sans papier de ma circonscription a une formation de soudeur et travaille, je fais des courriers pour qu’il obtienne des papiers et qu’il reste en France. Il apporte à la société, il crée de l’emploi pour lui, et pour l’entreprise. C’est gagnant-gagnant. »

Augmenter la part de l’immigration du travail, en mettant en place une immigration choisie, est une solution proposée par de nombreux acteurs pour contrôler les flux migratoires. Pour Pierre-Henry Dumont, c’est le pays qui devrait avoir la possibilité de sélectionner les exilés qu’il souhaite accueillir, en fonction de ses besoins de main-d’œuvre.

Des allocations difficiles d'accès…

Les demandeurs d’asile ont le droit de percevoir une allocation pour se loger et subvenir à leurs besoins, l’Allocation pour Demandeurs d’Asile (ADA). Cette allocation est versée aux exilés majeurs qui remplissent certaines conditions. Ils doivent avoir déposé une demande d’asile auprès de l’OFPRA et avoir des ressources mensuelles inférieures au RSA.

Le montant de l’ADA varie de 200 à 1300 euros par mois, en fonction du nombre de personnes par foyer (la valeur maximale est atteinte à 10 personnes) et de si l’ayant droit a manifesté un besoin d’hébergement sans en bénéficier. Toutefois, lorsque les exilés bénéficient d’un hébergement, « certains centres d’accueil prennent une partie de l’ADA pour financer l’hébergement », dénonce François Guennoc, président de l’association L’Auberge des migrants, basée à Calais. L’allocation, entre 300 à 350 euros par mois en moyenne, ne laisse pas grand-chose pour subvenir aux besoins essentiels autres que se loger.

Si la demande d’asile est acceptée par l’OFPRA, le réfugié peut avoir accès aux allocations familiales, dans les mêmes conditions qu’un citoyen français.

Le principal problème réside dans le fait que, pour percevoir la première allocation que constitue l’ADA, l’exilé doit obligatoirement avoir déposé une demande d’asile. Compte tenu des difficultés administratives que représente cette procédure, recevoir l’allocation peut prendre beaucoup de temps. L’exilé se retrouve dans une situation critique, sans ressource pour subvenir à ses besoins.

…et pourtant nécessaires pour les exilés

Si l’ADA permet rarement aux exilés de sortir de la précarité dans laquelle ils vivent, elle leur offre des conditions de vie plus dignes. Selon une enquête d’Action Contre la Faim auprès d’environ 500 exilés, 65 % des demandeurs d’asile qui ne touchent pas l’ADA dorment dans la rue ou dans des squats, contre 39 % pour ceux qui en bénéficient. Sans elle, certains réfugiés ne peuvent pas s’abriter.

L’accès au travail et aux allocations essentielles à la survie des exilés est donc très difficile. Le traitement des réfugiés ukrainiens est bien différent, tant sur l’accès au travail que sur l’accès aux allocations. La protection temporaire leur permet de bénéficier de l’ADA dès leur arrivée en France, sans avoir à attendre d’avoir déposé une demande d’asile dans des conditions inhumaines.

Le droit d'apprendre

Accès à l'éducation

L’accès à l’éducation et à l’école française représente un défi de taille. Et cela pour les enfants exilés, qui viennent d’arriver dans un pays qu’ils ne connaissent pas, comme pour l’Éducation nationale qui a le devoir de les scolariser. L’enseignement est un droit fondamental, encadré par la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 et la Convention de Genève de 1951 relative au statut de réfugié.

En France, conformément à l’article L.111-1 du code de l’Éducation, un enfant a l’obligation d’être scolarisé de ses trois à ses seize ans, qu’il soit français ou étranger. Puisque cette scolarisation relève des droits de l’enfance, elle ne nécessite pas qu’une demande d’asile ait été déposée par la famille comme pour l’accès aux soins, à l’hébergement ou au travail. En effet, un enfant en situation irrégulière a le droit d’être scolarisé.

Marianne Ortego, enseignante en UPE2A dans les Yvelines, pendant la classe.

Photo : Hugo Le Vay

Des dispositifs spécialisés pour les élèves non-francophones

Avant de rentrer à l’école, les enfants nouvellement arrivés en France doivent passer des tests dans un centre d’évaluation pour les élèves scolarisés dans le secondaire. Pour les élèves scolarisés dans le primaire, ce test s’effectue directement auprès d’un enseignant en Unités Pédagogiques pour Élèves Allophones Arrivants (UPE2A).

Les enfants sont ensuite orientés vers des dispositifs UPE2A, spécialisés et dédiés à l’enseignement pour les enfants allophones, c’est-à-dire dont le français n’est pas leur langue maternelle. Les familles doivent alors inscrire leur enfant à l’école dans la mairie de la ville où ils résident pour les élèves du primaire. Pour les élèves du secondaire, l’inscription se déroule au CASNAV (Centre Académique pour la Scolarisation des enfants allophones Nouvellement Arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de Voyageurs).

L’enfant passe tout de même du temps dans une classe ordinaire, pour favoriser son intégration et son inclusion. Il évolue parallèlement en UPE2A afin d’acquérir un socle commun de connaissances et de compétences, notamment en français.

Marianne Ortego avec ses élèves allophones.

Photo : Hugo Le Vay

Les difficultés dans les procédures d'accès à l'éducation

Si l’accès à l’éducation pour les exilés semble plus simple que l’accès aux soins ou au travail, il pose de nombreuses difficultés. Elles se manifestent essentiellement dans les procédures administratives pour s’inscrire à l’école et une fois l’enfant scolarisé.

En théorie, l’accès à l’éducation ne nécessite pas que l’exilé ait fait une demande d’asile. Cependant, lorsqu’il inscrit un enfant à l’école, il doit fournir une adresse. Il doit obligatoirement avoir déposé une demande de protection pour être hébergé par l’État. Beaucoup de réfugiés qui souhaitent inscrire leur enfant ne disposent donc d’aucune adresse. Ils fournissent alors régulièrement celle d’une connaissance, ou d’associations qui les aident, comme la Croix Rouge.

La barrière de la langue ajoute une difficulté supplémentaire, notamment lorsque les familles doivent faire les démarches d’inscription à l’école à la mairie. Marianne Ortego, enseignante en UPE2A dans les Yvelines, explique que « l’entrée à l’école pour les enfants peut trainer, car les parents ne connaissent pas les démarches qu’il faut faire, ou ne les comprennent pas puisqu’ils ne parlent pas ou mal le français. Personne ne les aide, ne les oriente, donc dans ces conditions, il n’est pas rare que les enfants attendent deux ou trois mois avant d’être scolarisés ».

Une fois l’enfant inscrit, il peut toujours faire face à de nombreuses difficultés. En effet, les familles ne choisissent que très rarement le lieu où elles sont hébergées, quand elles le sont. Toutes les villes ne disposent pas du dispositif UPE2A. C’est aux familles de se déplacer dans une ville où il y en a un s’il n’y en a aucun à proximité. « Certains enfants font une heure et demie de transports pour aller à l’école », raconte l’enseignante. Si la famille ne souhaite pas ou ne peut pas se déplacer, alors l’enfant est scolarisé dans une classe ordinaire, sans bénéficier du dispositif UPE2A.

Qu'en est-il des enfants ukrainiens ?

La scolarisation des exilés ukrainiens est une question essentielle pour leur accueil en France. Leur accès à l’éducation est soumis à des procédures identiques aux autres. Les enfants ukrainiens doivent passer comme les autres par un test de niveau avant d’être orientés vers les écoles et les dispositifs UPE2A.

Ils doivent s’inscrire en mairie ou auprès du CASNAV dans les mêmes conditions que les autres exilés. Mais, ces démarches sont généralement difficiles et longues en raison d’un manque d’accompagnement et d’orientation, les Ukrainiens bénéficient d’un suivi et d’une aide pour réaliser toutes les démarches. Les enfants ukrainiens sont donc scolarisés dans les meilleurs délais.

Pour Marianne Ortego, les principales différences de traitement résident dans la manière dont les enfants ukrainiens sont accueillis dans les écoles, comparativement aux enfants d’Afrique et du Moyen-Orient. « D’habitude, les gens que l’on accueille viennent d’Afrique et du Moyen-Orient. Aujourd’hui, ce sont des blonds aux yeux bleus. Dans l’inconscient de certaines personnes, dont des enseignants, le traitement n’est pas pareil », affirme-t-elle. Ce ressenti s’est renforcé lorsque les enseignants du primaire ont reçu des consignes et des recommandations du ministère de l’Éducation pour accueillir les réfugiés ukrainiens dans les meilleures conditions possibles. Ces consignes ne sont jamais transmises pour d’autres populations. « Il y a une crainte de perturber les élèves ukrainiens, qu’il n’y a pas avec les autres », déplore l’enseignante.

La forte médiatisation de la guerre en Ukraine peut en partie expliquer ce phénomène de bienveillance à l’égard des enfants ukrainiens. Pour les conflits en Afrique ou au Moyen-Orient, Marianne Ortego estime que « dans l’imaginaire des gens, il y a beaucoup de clichés sur l’Afrique, sur le Moyen-Orient. Il y a de l’ignorance sur ce qui se passe là-bas ». En effet, les médias rapportent l’évolution de la guerre en Ukraine en continu. Ces informations permettent aux gens, donc aux enseignants, de prendre conscience des souffrances vécues par les Ukrainiens. L’abondance d’images favorise leur visualisation.

Les exilés ont donc le droit de scolariser leur enfant dans les mêmes conditions que les Français. Ils bénéficient de dispositifs particuliers pour faciliter leur intégration à l’école. Cependant, les démarches pour y accéder sont souvent compliquées par la barrière de la langue et de la situation des familles. Précarité, difficulté d’accès à l’hébergement, les conditions des exilés sont souvent un frein à l’intégration des enfants dans le système scolaire.

Entretiens

Majd

Majd est un réfugié syrien de 11 ans, scolarisé en UPE2A. Il a fui la guerre avec sa famille. Il avait l'air perturbé de parler de son arrivée en France.

Photo : Hugo Le Vay

Pourquoi es-tu parti de Syrie ?

Parce que quand les garçons ont 20 ans, ils doivent aller à la guerre. Mon frère est venu en France pour ne pas y aller avec mon père. Après, nous on est venu…

Est-ce que tu te souviens de la Syrie ? Est-ce que tu te souviens de la guerre ?

Moi j’ai pas vu, mais mon père il a vu. Et là où j’ai grandi, la guerre était un peu loin de nous.

Comment c’était quand tu es arrivé ? Comment as-tu été accueilli ?

Bah je n’avais pas de copain, je ne savais pas parler français et oui… je n’avais pas de copain.

Tu aimes bien la France ? Tu aimes bien aller à l’école ici ?

Oui, je trouve que c’est bien. Maintenant je suis accueilli et je suis content.

Est-ce que c’était dur pour toi de quitter la Syrie ?

Un peu, mais j'avais envie de partir. J'avais peur.

Mohamed

Mohamed est le père de Majd. Il a pris l'initiative de fuir la Syrie avec sa famille. Photo : Hugo Le Vay

Quand êtes-vous arrivé en France ?

Je suis en France depuis 2016.  J’avais déjà un visa pour 5 ans avant d’arriver en France. Comme je suis commerçant, j’avais un passeport et j’avais donc déjà un visa de commerce. Je venais déjà de temps en temps en France pour le travail, pendant 10 ou 15 jours.

Pourquoi avez-vous fui la Syrie ?

Je ne peux pas retourner là-bas parce que j’ai un problème avec le gouvernement syrien. J’ai aidé des associations en Syrie. J’achetais des médicaments en France et je les ramenais dans mon pays, pour les personnes âgées et handicapées. Quand j’arrivais en Syrie, quelqu’un venait récupérer les médicaments. Cette personne a eu un problème avec les autorités syriennes et a parlé du fait que j’aidais les gens en ramenant des médicaments. Cette personne m’a dénoncée. Donc le gouvernement syrien a commencé à faire des recherches sur moi.

Ces médicaments étaient pour les opposants du régime, pendant la guerre civile. C'était interdit de fournir des médicaments, de la nourriture aux personnes qui étaient contre le système.

Où êtes-vous allé en premier après la Syrie ?

Je suis d’abord resté au Liban un an. J’ai ensuite fait venir ma famille, mais ne nous pouvions pas rester là-bas, car il y a beaucoup de racisme. Certaines personnes n’acceptent pas les réfugiés syriens. Après, nous avons quitté le Liban avec ma famille pour venir en France et j’ai fait toutes les démarches pour demander l’asile.  

Comment vous êtes-vous senti accueilli en France ?

J'aime bien la France, parce que le peuple français est un peuple qui me respecte. J’ai fait le tour de toute l’Europe, mais j’aime bien la France. Ici il y a des droits pour les hommes et les femmes. Je peux me sentir comme un homme ici. Dans les pays arabes, il y a trop de racisme entre les différentes ethnies. Les gens pensaient que je n’étais pas une bonne personne.

Aujourd’hui vous avez espérez rester en France définitivement ?

Je ne veux pas retourner en Syrie, parce que je suis très bien ici, en France. J’ai juste un problème avec mon logement. Il y a des problèmes d’humidité, et ma femme et ma fille sont tombées malades. J’ai fait les demandes pour avoir un HLM ou un logement social, mais tous les dossiers que j’ai fait ont été refusés.

Symbole des failles de l'accueil en France

Calais

Des murs et des barbelés qui protègent le port de Calais, une destination prisée par les exilés. Photo : Benjamin Moubeche

La jungle de Calais

En 2015, l’Europe entière a les yeux rivés sur Calais, dans le Nord. Principale ville de passage pour les exilés qui souhaitent rejoindre le Royaume-Uni, elle aménage le centre d’accueil Jules Ferry pour 400 personnes le 15 janvier 2015.

La population augmente alors de manière exponentielle et le centre se retrouve vite saturé. Un camp se développe ainsi autour de la structure. Ce camp se transforme en quelques mois en un immense bidonville, le plus grand d’Europe. Plus de 10 000 exilés vivent en août 2016 dans ce qui est devenu la tristement célèbre « grande jungle de Calais ».

La jungle de Calais, en 2016.

Photo : Pascal Rossignol/Reuters

En septembre 2016, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve annonce le démantèlement de la jungle. Du 24 octobre à fin décembre, plus de 7000 exilés sont évacués. Ceux qui coopèrent sont déplacés et réorientés vers 450 centres d’accueil partout en France. En conséquence, les campements sauvages se multiplient dans Calais et ses environs. En 2021, l’ONG Human Rights Watch estime que 2000 exilés occupent la zone.

Au cœur de l'enfer calaisien : la dure réalité des camps

Les conditions de vie sur un camp d’exilés sont toujours très difficiles. Mais la réalité dans la région de Calais est encore plus éprouvante. Le climat est rude, la région étant particulièrement exposée au froid, à la pluie, et au vent.

Sur le camp de la rue du Beau Marais, situé à Marck, ville frontalière avec Calais, les exilés vivent un véritable enfer. Le camp, situé sur un terrain vague, est exposé à des conditions extrêmes. Le sol est un mélange de boue et de sable, que le vent, très violent, brasse sans interruption. Pour se protéger, les exilés s’abritent comme ils peuvent près des arbres et des barrières le long de la voie ferrée. Très peu d’entre eux ont une tente. La plupart disposent seulement de bâches accrochées aux arbres, pour tenter de se protéger des intempéries et trouver un minimum d’intimité. Le froid, déjà glaçant au mois d’avril, laisse imaginer la difficulté d’un hiver sur le camp.

L'entrée d'un camp d'exilés érythréens à Calais.

Photo : Benjamin Moubeche

Les déchets s’entassent à l’entrée. Les exilés n’ont accès ni à l’eau ni à des sanitaires. Ils semblent très marqués physiquement par ces conditions. « La vie ici est très difficile. Il y a souvent de la pluie, il fait froid, le vent est très fort et nous n’avons même pas de tentes pour nous protéger. Nous souffrons, ici. Nous souffrons vraiment. Aucun être humain ne devrait vivre dans nos conditions », déplore Hassan, jeune exilé soudanais.

La plupart des exilés, souhaitant rejoindre le Royaume-Uni, ne demandent pas l’asile en France. Beaucoup sont passés par un autre pays européen avant d’atteindre l’Hexagone et risquent d’y être reconduits conformément au règlement de Dublin.

« Je ne veux pas rester en France, on ne veut pas de nous ici. Je veux trouver un bateau pour aller au Royaume-Uni. », explique Hassan, qui vit sur le camp depuis deux mois. « Si j’enregistre mes empreintes en France, pour demander de l’aide, on me renverra en Italie. »

Calais, un « port-frontière »

La zone portuaire de Calais est très particulière. Les accords du Touquet de 2004 font de Calais une zone frontalière du Royaume-Uni. Les autorités britanniques peuvent effectuer des contrôles directement sur le territoire de la ville.

Un ferry quitte le port de Calais.

Photo : Benjamin Moubeche

Le Royaume-Uni est une destination privilégiée par la plupart des exilés sur la région de Calais. Les entrées illégales en Angleterre sont donc nombreuses. Pour limiter ces flux migratoires irréguliers, le port de Calais est protégé par des kilomètres de barrières et de barbelés hauts de plusieurs mètres. L’accès aux zones d’embarcation des ferrys est très réglementé et contrôlé.

Tout est fait pour dissuader et empêcher les exilés de passer au Royaume-Uni, ce qui explique l’augmentation constante du nombre d’exilés, bloqués dans la région de Calais. Toutes ces infrastructures s’inscrivent dans la lignée de la politique menée par les autorités et la municipalité de Calais.

Une politique « 0 migrant » : mener la vie dure aux associations

Alors que les conditions naturelles rendent déjà la vie très difficile sur le camp, la politique « 0 migrant » menée par les institutions politiques dans la région de Calais accroît la détresse des exilés.

À l’entrée du camp de la rue du Beau Marais, un fossé et des rochers pour empêcher les associations d’y accéder en voiture pour distribuer de la nourriture. Depuis septembre 2020, des arrêtés préfectoraux interdisent la distribution gratuite d’eau et de nourriture aux exilés dans plus de 30 rues de Calais par les organisations non mandatées par l’État. La zone est régulièrement élargie et complique le travail des associations.

Un camp d'exilés érythréens à Calais.

Photo : Benjamin Moubeche

Pour François Guennoc, président de l’association L’Auberge des Migrants, les autorités prennent de telles mesures pour« faire la vie dure aux migrants pour les empêcher ou les dissuader de venir à Calais ». Pierre-Henri Dumont, député Les Républicains du Pas-de-Calais, constate un lien entre l’activité de ces organisations et la concentration des exilés dans la région. « Les migrants restent là aussi parce que les associations viennent leur apporter les repas sur place », justifie-t-il.

Si les associations ne respectent pas l’arrêté, elles ne font pas directement l’objet de sanctions, seul le camion qui distribue la nourriture peut prendre une contravention pour stationnement interdit. Pierre-Henri Dumont a fait une proposition de loi sur ce point. Il souhaite sanctionner immédiatement les bénévoles qui ne respectent pas les arrêtés préfectoraux et effectuent des distributions. De plus, il aspire à rendre inéligibles ces organisations aux réductions fiscales sur les dons. « Je fais cette proposition de loi pour dire qu’il faut respecter les arrêtés parce qu’il est question de la vie des migrants », affirme le député.

Seules les associations autorisées par l’État peuvent procéder à des distributions. C’est le cas de La Vie Active, que nous avons rencontrée par hasard devant un camp d’Érythréens à Calais. Deux membres de l’association venaient de distribuer de la nourriture. Ils n’ont pas souhaité répondre à nos questions, expliquant que les communications viennent uniquement de la préfecture et qu’ils ne sont pas autorisés à parler à la presse. La date et le lieu de la distribution sont strictement définis par la préfecture, pour éviter des regroupements d’exilés dans les parties habitées de Calais et ses alentours.

La peur d’une nouvelle « grande jungle »

Pour les autorités, la « grande jungle » représente ce qu’il faut à tout prix éviter. « Le gouvernement a un très mauvais souvenir de la grande jungle. C’était une grosse verrue sur le front du gouvernement », explique François Guennoc.

Pour ne pas revivre cet épisode, la police procède à des démantèlements des camps toutes les 48 heures, afin d’empêcher les exilés de se regrouper en trop grand nombre. Lorsque des personnes s’installent dans un squat (les camps sont considérés comme tels), les expulser dans les 48 premières heures est relativement facile. Cependant, la procédure devient assez complexe si les squatteurs sont installés depuis plus de deux jours. Les autorités doivent informer les occupants dans leur langue par un huissier et faire un diagnostic social pour protéger ou mettre à l’abri des exilés si c’est nécessaire. C’est la raison pour laquelle les forces de l’ordre interviennent toutes les 48 heures, pour ne pas dépasser le délai et ainsi éviter les procédures.

Partout autour de la zone portuaire, les barbelés bloquent les exilés.

Photo : Benjamin Moubeche

Selon François Guennoc, « le gouvernement fait semblant que le camp existe depuis moins de 48 heures pour expulser ». C’est pourquoi L’Auberge des Migrants, avec sept autres associations et 11 exilés, a déposé une plainte contre le préfet de Calais fin 2020. Ils dénonçaient alors cette pratique illégale lors du démantèlement d’un camp près de Calais. Le préfet avait également pris la décision d’expulsion seul, alors qu’il aurait dû le faire sur ordre du procureur. « C’est marrant parce que c’est un tweet de Gérald Darmanin qui a aidé la cour d’appel à prendre la décision. Darmanin a félicité le préfet, alors qu’il aurait dû féliciter le procureur », s’amuse le président de L’Auberge des Migrants. La cour d’appel de Douai a reconnu la culpabilité du préfet, condamné à verser 5000 euros à chaque exilé et 1000 à chaque association.

Les exilés du camp de la rue du Beau Marais sont la cible de ces démantèlements très violents. À l’entrée du camp, deux CRS armés de fusils d’assaut patrouillent le jour où aucun démantèlement n’est prévu. Les exilés craignent la police, et ces mesures qui leur semblent disproportionnées. « La police vient, détruit nos tentes, met des coups de pied dans les bâches. S’ils ne viennent pas aujourd’hui, ils viendront demain. La police est vraiment horrible ici », témoigne Hassan, réfugié soudanais.

Les associations de Calais

Dans cet entrepôt, plusieurs associations travaillent main dans la main pour aider les exilés. Photo : Benjamin Moubeche

Les associations occupent une place très importante dans l’écosystème de Calais. L’Auberge des Migrants, fondée en 2008, coordonne la plupart des actions dans le secteur de Calais et de Grande-Synthe. L’association possède un entrepôt dans une zone industrielle située à la frontière avec Marck, proche de plusieurs camps d’exilés. L’entrepôt regroupe plusieurs associations, qui mènent des actions complémentaires.

L’Auberge des migrants : L’association dispose de deux cellules distinctes. Tout d’abord, Human Rights Observers se charge de surveiller le respect des droits fondamentaux des réfugiés lors des expulsions. Enfin, le Woodyard achète, découpe et distribue près de sept tonnes de bois par semaine pour permettre aux exilés de se chauffer l’hiver.

François Guennoc, président de L’Auberge des Migrants.

Photo : Benjamin Moubeche

Refugee Community Kitchen, Calais Food Collective : La première cuisine et distribue entre 300 et 1000 repas chauds par semaine. Cette action est complétée par la seconde association, créée en 2020, qui se charge de trouver et distribuer de la nourriture grâce à des récupérations dans les magasins, des banques alimentaires, des dons ou des achats.

Utopia 56, Collective Aid : Ces associations s’occupent de la distribution de produits non alimentaires, comme des tentes, des couvertures, des chaussures ou des produits d’hygiène.

L'entrepôt, partagé par les associations.

Photo : Benjamin Moubeche

Women Center : Le collectif protège et met à l’abri des femmes, et leur fournit également des tentes et des couvertures.

Project Play : L’association anglaise se rend sur les camps pour jouer avec les enfants et entre en contact avec les familles dans le besoin.

Les bénévoles de Woodyard coupent du bois pour les exilés, à Calais.

Photo : Benjamin Moubeche

Deux visions de l'accueil des exilés

Pierre-Henri Dumont

Député de la 7ème circonscription du Pas-de-Calais, Les Républicains

Quelles sont vos positions en matière d’immigration ?

L’immigration n’est pas un problème en soi, les gens vont où ils veulent. La question, c’est quel type d’immigration et qui décide ? Est-ce que c’est la personne qui décide de changer de pays qui peut s’installer où elle veut ? Ou est-ce que c’est le pays qui accueille cette personne qui décide de qui peut venir dans le pays ? Moi je fais partie de ceux qui estiment que l’immigration doit être facteur des capacités d’intégration. Il n’y a rien de pire qu’une immigration qui veut se donner bonne conscience en disant que tout le monde peut venir sans souci.

Comment décririez-vous la situation à Calais ?

À Calais, les migrants ne veulent pas s’installer en France, ils veulent passer au Royaume-Uni. Pourquoi ? Parce qu’ils parlent anglais, parce que la vie communautaire est acceptée là-bas, mais pas en France. On ajoute à ça le fait qu’ils ont une facilité d’emploi, il n’y a presque pas de contrôle dans le marché du travail britannique des travailleurs sans papiers. Tout ça fait qu’ils veulent traverser. Aujourd’hui, ils sont coincés à Calais.

Que proposez-vous pour améliorer la situation ?

Moi, ma vision, et celle de la droite partagée par tous les locaux, c’est de dire qu’il ne faut surtout pas créer de centre à Calais parce qu’on a déjà vu ce qui se passait. Ça s’est appelé au fil de l’histoire la Jungle de Calais. En fait, on crée un centre d’accueil temporaire, évidemment, et puis on est très vite débordés au bout d’une nuit, trois nuits, une semaine. Avec un centre prévu au départ pour 100 ou 200 personnes, on arrive vite à 500. C’est comme ça qu’on s’est retrouvé avec le plus grand bidonville d’Europe en l’espace de quelques mois.

Vous êtes l’auteur d’un projet de loi visant à sanctionner les associations qui effectuent des distributions. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Je dis juste qu’à un moment donné, les migrants restent là aussi parce que les associations viennent leur apporter les repas sur place. Il y a des arrêtés préfectoraux interdisant les associations non mandatées par l’État de distribuer de l’eau et de la nourriture dans certaines zones. Certaines d’entre elles ne les respectent pas. Aujourd’hui, il n’y a aucun moyen de sanctionner les personnes. Je demande juste l’application de l’arrêté préfectoral et je souhaite que les militants et les associations qui ne respectent pas la loi soient sanctionnables. On a des opérateurs, qui sont pris en charge par l’État, et qui donnent des repas chauds, avec des endroits pour se laver les mains et où les migrants peuvent manger autrement que le cul dans la boue.

Damien Carême

Député européen, Europe Écologie Les Verts.

Pouvez-vous raconter comment les exilés sont arrivés sur la ville de Grande-Synthe ?

En 2002-2003, on a vu les premiers exilés arriver sur la commune. Ils sont arrivés parce qu’ils souhaitaient partir vers l’Angleterre. Ils ne restaient donc pas longtemps, quelques nuits tout au plus. C’est en 2015 que les choses ont dégénérées. On est passé de 50 personnes au mois de juillet à 2500 au mois de décembre.

Pouvez-vous nous expliquer la manière dont vous avez géré l’accueil des réfugiés sur la commune de Grande-Synthe ?

Je n’étais pas sensible à la question des réfugiés avant, mais j’ai été confronté à cette réalité de terrain. Je ne voulais absolument pas que Grande-Synthe devienne Calais. J’ai donc interpellé tous les services de l’État, préfet, sous-préfet, ministre de l’Intérieur, Premier ministre et le président. En l’absence de réponse, on a décidé de créer un camp avec Médecins sans Frontière. On a construit ce lieu d’accueil humanitaire d’une capacité de 2500 personnes, car il y avait urgence. On a mis trois mois. Il a fallu stabiliser le terrain avec des graviers, construire 340 petites cabanes, installer l’eau et l’électricité, une voie d’accès pour les pompiers. Il y avait beaucoup de travaux, mais on ne peut pas laisser des êtres humains vivre dans l’indignité.

La municipalité a dû gérer cette situation sans aide de la part de l’État ?

Déjà en 2008, le préfet m’avait contacté pour me dire que j’allais créer un appel d’air en laissant les exilés s’installer. Il me faisait du chantage. J’ai demandé à l’État. Il était complètement impuissant, il n’avait pas de solution. Donc, finalement, je lui ai rendu service, en faisant à sa place. Après, une fois que le camp était construit, on a passé une convention avec l’État en 2016, pour qu’il participe financièrement à la gestion quotidienne du camp, ce qui a coûté six millions sur un an.

Ce camp existe-t-il encore aujourd’hui ?

En avril 2017, un gros conflit entre les Afghans et la communauté kurde a mis le feu au camp. En quelques heures, le camp a complètement brûlé. 1500 personnes ont dormi dans des gymnases et des cantines. Mais là, en quatre jours, l’État leur avait trouvé des places. Donc je me suis toujours demandé si l’État ne m’avait pas berné avant. Voilà comment s’est terminée l’histoire de ce camp.

En tant que député européen, quels sont vos actions pour l’accueil des réfugiés en Europe ?

Aujourd’hui, on est en train de bloquer majoritairement la partie du règlement de Dublin qui stipule que le pays d’entrée des migrants doit être le pays de la demande d’asile. Donc l’action que je peux avoir, c’est dénoncer l’absurdité des systèmes, en essayant de montrer au grand public ce qui se passe et de le sensibiliser. Mon action se joue sur le plan législatif et sur le plan de la sensibilisation de l’opinion publique.

Les villes accueillantes

Photo : Organisation pour une Citoyenneté Universelle

L’Association Nationale des Villes et Territoires Accueillants (ANVITA) a été créée en 2018 afin de rassembler les élus et collectivités territoriales qui veulent mettre en place une politique d’accueil inconditionnelle et promouvoir l’hospitalité sur nos territoires. Damien Carême, ancien maire de Grande-Synthe et aujourd’hui député européen en est le co-président avec Jeanne Barseghian, la maire de Strasbourg.

« L’association regroupe 63 communes. Dans ces villes, les gens sont très contents, car tout ça est fait en lien avec la population. Les gens ne sont pas hostiles à l’accueil. Franchement, je n’ai pas du tout une vision de la France qui refuse l’autre », explique Damien Carême.

La charte

Aujourd’hui, 63 territoires ont rejoint l’ANVITA en signant une charte. Elle se décompose en cinq points essentiels :

1. La reconnaissance d’une période transit. Pour cela, le gouvernement doit respecter les parcours migratoires en ne discriminant pas les demandeurs d’asile des autres exilés, et en ne différenciant pas les Français des exilés. L’État a le devoir de respecter les droits fondamentaux des exilés.

2. Nos territoires peuvent devenir refuge pour toutes celles et tous ceux qui ont besoin d’être mis à l’abri, avec un accès inconditionnel à l’hébergement, à l’alimentation, à l’hygiène, à la santé, à l’éducation et à la culture, pour répondre aux besoins vitaux.

3. La mise en œuvre de tous les dispositifs qui permettent aux personnes, quel que soit leur statut, de vivre dignement sur nos territoires.

4. L’exigence du respect des droits des Mineur(e)s non accompagné(e)s et des jeunes majeurs lorsque la prise en charge par les conseils départementaux et l’État est défaillante.

5. Nous demandons que l’État assume ses missions et assure les moyens pour créer des solutions d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement plus nombreuses et plus qualitatives que celles existant aujourd’hui. Il faudra, par ailleurs, harmoniser et pérenniser les dispositifs pour éviter que l’urgence ne devienne la règle.

Pour rejoindre l’ANVITA, le conseil municipal de la ville doit voter pour l’adoption de cette charte et la signer.

Les missions

Après avoir signé la charte, les villes et territoires adhérant se rassemblent autour de quatre missions :

1. Animer le réseau : Réunion et entretiens avec différents acteurs et pairs.

2. La pratique et les ressources : Capitaliser des pratiques inspirantes sur les réseaux sociaux et à l’international. Relayer les informations, créer un centre de ressources en ligne, et publier des guides spécifiques tous les ans.

3. Les projets, les partenariats et les événements : fédérer les membres autour d’actions juridiques, de projets, et d’une co-construction des politiques locales avec les associations. Favoriser une mise en relation avec les autres villes dans le monde, avec une participation et une organisation de temps forts autour des migrations.

4. Porter un autre discours : Interpeller et dialoguer avec les décideurs politiques. Mettre en place une stratégie de communication pour les politiques nationales et européennes, mais aussi pour les médias et l’opinion publique.

Pour l’ANVITA, « il n’existe pas une solution nationale à l’accueil, mais bien autant de solutions que de situations locales. »

Une différence d'accueil

Les Ukrainiens, et les autres

Dans la législation, la différence flagrante qui intervient entre les réfugiés ukrainiens et les autres est la mise en place de la protection temporaire pour les réfugiés ukrainiens. Retour sur les points importants de la protection temporaire, en comparaison avec les droits des autres exilés.

Ukrainiens

  • Titre de séjour d'un an renouvelable immédiatement délivré

  • Accès aux soins immédiat

  • Accès à l’hébergement inconditionnel

  • Scolarisation des enfants dans de courts délais

  • Accès aux prestations sociales sans condition

  • Accès à l’emploi immédiat

Autres exilés

  • Demande d’asile traitée en moy. en 262 jours, procédures difficiles

  • Accès aux soins difficile après 3 mois d’attente

  • Hébergement rare, beaucoup de campements

  • Délais important pour la scolarisation

  • Dépôt de la demande d’asile obligatoire

  • Délai de 6 mois après dépôt de la demande d’asile pour chercher un emploi

En plus de la protection temporaire, de nombreuses actions ont été mises en place indépendamment de celle-ci. Que ce soit des actions spontanées ou officielles, l’écart se creuse entre l’accueil des réfugiés ukrainiens et l’accueil des autres exilés sur le territoire français.

Ce dispositif de protection temporaire a été instauré en 2001 et utilisé pour la première fois par l’Union européenne le 3 mars 2022 pour les exilés ukrainiens. Cette directive existe pour « faciliter les procédures d’accueil en urgence en cas d’afflux massif », explique Bérangère Taxil, professeure de droit international. La protection temporaire a été créée « en réaction aux flux massifs de réfugiés du Kosovo dans les années 1999, 2000 ». Pendant la grande crise migratoire qui a touché l’Europe en 2015, l’Union européenne a proposé la mise en place de la protection temporaire pour les millions d’exilés syriens et irakiens. Mais à ce moment-là, « la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovénie ne souhaitent pas déclencher le mécanisme de la protection temporaire. Il n’y a pas de définition de ce qui est massif et de ce qu’il ne l’est pas dans la directive de l’Union européenne », rappelle la spécialiste du droit international.

La première différence s’est donc faite au sein de l’Union européenne, qui a décidé de ne pas appliquer la protection temporaire pour les exilés syriens et irakiens qui fuyaient la guerre. Pour Bérangère Taxil, cette décision s’explique. « Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt. L’une des difficultés d’accueil de ces pays d’Europe de l’Est repose sur l’intégrabilité de ces personnes. Les classes politiques de l’Est avaient une tolérance limitée, pour des motifs sociaux, politiques, culturels et religieux », affirme-t-elle.

Dans un autre cas, lorsque les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan en août 2021, la question de la mise en place de la protection temporaire ne s’est pas posée. La juriste avance que, dans ce cas, « ce n’est même plus une question d’évaluation du caractère massif ou pas massif. Personne n’envisageait que cette application d’une directive resurgisse comme ça ».

Un étudiant manifeste pour l'accueil des réfugiés indépendamment de leur origine, le 14 avril, à Paris, devant le Panthéon. Photo : Benjamin Moubeche

Des différences au sein même de l’accueil des personnes qui fuient l’Ukraine

L’application de la protection temporaire s’applique à tous les pays de l’Union européenne. Cependant, un aspect reste libre de décision pour chaque État. Dans les statuts de la protection temporaire, il y a une catégorisation : les citoyens ukrainiens, les résidents permanents en Ukraine et les résidents temporaires. L’Union européenne n’impose pas la prise en charge des trois statuts. « Ces résidents temporaires en Ukraine fuient pour les mêmes raisons. Eh bien finalement, cette catégorie de résident a été exclue du mécanisme. Là encore, la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovénie avaient une vision plus restrictive que les autres États », insiste Bérangère Taxil.

La France a elle aussi choisi de ne pas inclure les résidents temporaires en Ukraine au processus de protection, contrairement à l’Espagne et à l’Allemagne. Aux yeux de la loi, ce processus est totalement légal, mais les associations et les experts dénoncent cette décision. « S’ils ne peuvent pas rentrer dans leur pays d’origine, ils doivent être protégés en Europe et on doit délivrer un titre de séjour de six mois, les autoriser à s’inscrire dans les universités ou à trouver du travail », explique la professeure de droit.

Les étudiants étrangers sont les premiers touchés par cette mesure. « J’étais étudiant en Ukraine quand la Russie est arrivée. On a tous fui la guerre ensemble. Je suis venu en France, je voulais continuer mes études, mais on m’a dit que je n’étais pas Ukrainien et que je n’en avais pas le droit », témoigne Aladin, résidant non permanent algérien en Ukraine.

Différentes perspectives sur le cas particulier des Ukrainiens

Sonia Krimi, députée La République en Marche dans la Manche

Sonia Krimi, députée La République en Marche dans la Manche

Sonia Krimi, députée La République en Marche dans la Manche

Photo : Zoé Tison

« Il y a un fond raciste derrière tout ça. C’est plus facile d’accueillir quelqu’un de blanc aux yeux bleus, mais c’est humain. Je dirais même du racisme indirectement, parce qu’on choisit des gens selon notre couleur de la peau. Ce n’est pas le racisme auquel on est habitué. C’est totalement humain d’aller vers les gens qui te ressemblent le plus. Tu te dis qu’ils ont la même religion que toi, la même culture, et ils peuvent se fondre dans la masse, alors que d’autres non. »

Pierre-Henri Dumont, député Les Républicains du Pas-de-Calais

« La différence c’est que les réfugiés ukrainiens veulent se protéger en fuyant la guerre, la plupart du temps pour repartir lorsque le conflit sera fini. C’est un dispositif qui est différent de celui utilisé pour les demandes d’asile habituelles, en particulier venant du Moyen-Orient ou d’Afrique subsaharienne. C’est un dispositif de demandes d’asile quasiment définitif, donc c’est plutôt un détournement des procédures légales d’immigration plutôt qu’une réelle demande d’asile. »

Manila Kahled, réfugiée afghane et militante pour l'accueil des exilés afghans

« Avant, je ne pensais pas que les Français étaient racistes. Mais ça, si ce n’est pas du racisme, qu’est-ce que c’est ? Aujourd’hui, certains Afghans vivent dans des tentes, sous la pluie et dans le froid. Ils n’ont pas de papier et cherchent une solution, mais on ne leur en donne pas. »

Kéa Tea, adjointe à la solidarité de Saint-Germain-en-Laye

Kéa Tea, adjointe à la solidarité de Saint-Germain-en-Laye

Kéa Tea, adjointe à la solidarité de Saint-Germain-en-Laye

Kéa Tea, à gauche, et Priscille Peugnet, à droite, adjointes à la mairie de Saint-Germain-en-Laye. Photo : Zoé Tison

« Vous voyez, quand on parle de couleur de peau, on voit bien que pour les autres réfugiés, on n’a pas le miroir en face de nous. On sait très bien qu’on n’a pas la même culture, donc on garde nos distances parce qu’on ne sait pas comment la personne en face de nous va réagir. Alors que quand on accueille des Ukrainiens, on a ce miroir-là en face de nous. En fait, culturellement c’est pareil. Et puis en termes de religion, la majorité des Ukrainiens sont d’origine chrétienne. Ça ressemble plus à notre société, c’est vrai que ça peut faire moins peur. Mais ce sont des sujets très délicats. »

François Guennoc, président de l’association L’Auberge des migrants à Calais 

« Beaucoup de gens ont dit “c’est normal, les Ukrainiens ont la même culture, ce sont des chrétiens et ils sont tout près de nous”. C’est ridicule, les Algériens sont encore plus près et on ne les accueille pas. »

Nikolaï Posner, coordinateur de la communication pour Utopia 56 à Paris

« Il y a un mélange de discriminations. Que ce soit du racisme ou que ce soit par la religion. Voilà une panoplie de discriminations qui sont systémiques dans notre pays. Il y a le fait que l’Ukraine soit géographiquement juste à côté. »

« Migrants » ou « réfugiés » ?

Manifestations pour un accueil inconditionnel de tous les exilés, à Pantin, le 3 avril 2022.

Photo : Benjamin Moubeche

La première différence entre les exilés ukrainiens et les autres est apparue dans le vocabulaire employé par les journalistes ou les personnalités politiques. Dès le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, nous avons utilisé l’expression « réfugiés de guerre » pour les Ukrainiens. Au contraire, notamment à partir de la grande crise migratoire de 2015, nous avons parlé de « migrants » pour désigner la plupart des exilés. Ces termes ont une connotation marquée dans le discours politique et médiatique.

Le terme « migrant » renvoie à un individu qui effectue une migration, qui se déplace vers un autre lieu. Dans la loi française, les « migrants » n’ont pas de statut juridique spécifique.

La qualification de « réfugié » correspond à une personne qui a quitté son pays pour des raisons de sécurité ou de survie. En France, il s’agit d’un statut spécifique, octroyé par l’OFPRA aux demandeurs d’asile répondant aux critères. Le terme « réfugié » renvoie immédiatement à des exilés persécutés ou en danger.

Les réfugiés représentent une part de la catégorie des migrants. Ce sont des migrants qui justifient leur déplacement par la fuite d’une certaine menace. L’utilisation de ce terme est un rappel constant des raisons qui les poussent à quitter leur pays. La légitimité de leur accueil est sous-entendue. Le mot « migrant » néglige les motivations de la migration, qui ne sont alors pas spécifiées.

Dans le champ rhétorique, l’emploi du terme « migrant » peut minimiser la difficulté de la situation des exilés désignés, sujette à interprétation. Au contraire, le terme « réfugié » ne laisse aucune équivoque quant à la menace qui pèse sur ceux qui sont regroupés sous cette qualification.

Dans le discours politique

Emmanuel Macron, président de la République

À propos des Afghans : « Nous devons anticiper et nous protéger contre les flux migratoires irréguliers importants qui mettraient en danger ceux qui les empruntent et nourriraient les trafics de toute nature. »

À propos des Ukrainiens : « Plusieurs centaines de milliers de réfugiés venant d'Ukraine sont et seront accueillis sur notre continent. La France prendra sa part. »

Gerald Darmanin, ministre de l'Intérieur

À propos des Afghans : « On sait que ça (l'Afghanistan, ndlr) peut être une base du terrorisme, et donc nous devons faire attention à qui nous accueillons sur notre sol […] et à ne pas reconstituer un laboratoire du terrorisme. »

À propos des Ukrainiens : « J'ai décidé de réunir chaque semaine désormais les préfets pour organiser cet accueil qui est digne évidemment du message du président de la République et de la France. »

L'étymologie

Migrants vient du latin migrare, qui signifie « voyager au loin ». Il était d’abord associé aux oiseaux et animaux migrateurs qui se déplacent tous les ans. Migrare se définit comme passer d’un pays à un autre pour s’y établir.

Réfugié vient du latin refugere, qui signifie « fuir en rebroussant chemin, chercher un refuge, s’enfuir ».

Se fondre dans la société

L’intégration des exilés

Pour les exilés qui prévoient de rester en France, l’objectif final est l’intégration. Elle peut se faire de différentes façons, que ce soit par le contrat d’Intégration républicaine, par l’apprentissage de la langue française ou par la scolarité.

Le contrat d’intégration républicaine

Le contrat d’intégration républicaine est conclu entre l’exilé et l’État. Selon le gouvernement, le signataire s’engage à « respecter les principes et valeurs de la société française et de la République, et à suivre avec sérieux et assiduité les formations qui vous sont prescrites. »

Pour avoir accès au contrat d’intégration républicaine, il faut avoir un titre de séjour valide et s’engager un an avec l’État. L’exilé recevra une convocation pour une demi-journée à l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), pour évaluer ses besoins en formation. Deux formations sont obligatoires dans le contrat d’intégration républicaine. La première porte sur la linguistique, et varie en fonction du niveau de français. La deuxième est une formation civique.

À la suite de ces deux formations, d’autres seront proposées en fonction du niveau de la personne.

À la fin de l’année de contrat, un rendez-vous est prévu avec l’OFII afin de réaliser un bilan et d’accompagner au mieux l’exile vers l’insertion professionnelle.

La scolarité

À Pantin, les exilés afghans militent pour l'accès à l'éducation.

Photo : Benjamin Moubeche

Tous les enfants sur le territoire français doivent être scolarisés de leurs trois ans à leurs seize ans, peu importe l’origine, le statut ou la langue parlée. Afin de faciliter la scolarisation des enfants allophones (enfants pour qui la langue française n’est pas la langue maternelle), l’État met en place des Centres Académiques pour la Scolarisation des enfants allophones Nouvellement Arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de Voyageurs (CASNAV).

En lien avec ces structures, les Unités Pédagogiques pour les Élèves Allophones Arrivants (UPE2A) sont des dispositifs qui permettent aux élèves allophones de suivre un enseignement renforcé en français tout en étant intégré dans une classe ordinaire. Tout est organisé en fonction de leurs besoins, de leurs acquis linguistiques et langagiers. En école primaire, les élèves allophones passent des tests auprès des enseignants en UPE2A. Dans l’enseignement secondaire, les élèves allophones les passent dans un centre d’évaluation pour être ensuite orientés en fonction de leurs besoins.

Une opération en lien avec le dispositif UPE2A permet aussi d’aider les parents à s’intégrer, « Ouvrir l’École aux Parents pour la Réussite des Enfants » (OEPRE). Dans les zones où les arrivants non francophones sont nombreux, les écoles ouvrent leurs portes aux parents des élèves. L’objectif est de les aider à acquérir des bases en français, une connaissance des valeurs de la République, et la compréhension du fonctionnement et des attentes de l’école. Un lien de confiance se crée entre les parents et les enseignants des dispositifs UPE2A.

La langue française

Au relais, les bénévoles de l'association Pantin solidaire tentent d'apprendre les bases du français aux exilés afghans. Photo : Benjamin Moubeche

Les cours de français donnés de façons formelles ou informelles sont nécessaires pour l’intégration des exilés. L’objectif est de valoriser les enseignements de la langue donnés à travers le territoire aux exilés. En plus de l’opération OEPRE, les collectifs comme Pantin Solidaire permettent de délivrer des cours de français comme des « survival kit » pour les exilés. Les cours sont donnés par des bénévoles, pour apprendre aux exilés les bases du français, mais aussi pour créer un lien de confiance avec eux.

La maitrise de la langue française est un vecteur d’intégration puisqu’elle facilite l’accès au travail et à la vie en société.

La complexité des démarches entrave la capacité des exilés à faire valoir les droits dont ils peuvent bénéficier. Que ce soit sur le plan de l’accès à l’hébergement, aux soins, à l’éducation, au travail ou aux allocations, les conditions d’accueil ne correspondent pas à ce que prévoient les procédures.

Un profond décalage s’est créé entre la loi et son application, réduisant les exilés à des conditions très difficiles. Le ministère de l’Intérieur et les instances responsables de la gestion des demandes d’asile ont d’ailleurs été condamnés plusieurs fois par des juridictions compétentes.

L’arrivée des exilés ukrainiens et l’accueil privilégié dont ils bénéficient révèlent des différences de traitement avec les autres exilés. La protection rapide de plusieurs milliers d’Ukrainiens démontre qu’une prise en charge digne et respectueuse des lois est possible.

Toutefois, l’arrivée des Ukrainiens est encore très récente. Il ne faut pas exclure que le caractère exemplaire de leur accueil s’estompe lorsque les exilés arriveront beaucoup plus massivement.